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Culture #Interview

#Lepapieraufutur Soizic Bouju, groupe Centre France

18.03.2020
Soizic Bouju, Directrice générale déléguée du Groupe Centre France, apporte le regard des territoires d’une presse quotidienne régionale qui se réinvente et ouvre des champs nouveaux entre lecteurs et supports papier.

Actes du Colloque Culture Papier 2019 : #Lepapieraufutur
La valeur sociétale de l’imprimé

Valoriser et développer la relation à nos lecteurs

Un certain nombre de grands groupes de presse régionale mise sur le « Web first » et encore plus sur le « Mobile first », avec comme stratégie de mettre d’abord les contenus sur le numérique, ensuite sur le papier. Qu’en est-il pour Centre France ?  Votre position géographique change-t-elle de beaucoup la donne ?

Notre souci est d’être présent et réactif en fonction des attentes de nos lecteurs, nous avons mis en place un plan « Lecteurs d’abord » qui prenne en compte parfois du web first, mais surtout la nécessité de ne pas dupliquer les supports, dans un sens ou dans l’autre. Nous avons des territoires très différents, avec des capacités de connexion très disparates, et des usages différenciés.

Les 8 quotidiens du groupe travaillent à cette transformation, à la mutation des métiers et des modèles dans une organisation industrielle et éditoriale qui doit prendre en compte cette réalité.

 

Pourtant vous continuez de croire au papier ?

Croire au papier est un choix historique dans le groupe. Désormais des résultats structurels nous posent question dans la manière d’y faire face et de lutter contre cette tendance à la baisse, qui ne date pas de l’arrivée du digital. Nous avons réfléchi à la valeur et à l’usage de nos offres, afin de retravailler et de redéfinir un mode de composition et de présence à nos lecteurs et à nos publics qui puisse être valorisé. Nous n’avons jamais considéré que le digital first était une valeur en soi, ni une priorité ou un objectif de production. Notre valeur, c’est la confiance que l’on doit continuer de construire avec les territoires où nous sommes présents, et elle passe aussi par un renforcement de la valeur du produit papier.

 

Un de vos premiers choix n’est-il pas de développer le rapport lecteur-support ?

Nous avons étudié la meilleure manière d’être en contact avec notre audience au sens large du terme : nos clients, nos lecteurs, nos abonnés, nos lecteurs gratuits dans les cafés – qui est une réalité et un partage auquel nous devons être attentifs.

Comment mieux maîtriser cette forme d’attention et la recomposer pour faire en sorte de rebondir sur la valeur qui reste la nôtre et sur laquelle il faut travailler pour le redimensionnement et la réflexion autour de cette valeur du papier et pour ce qui me concerne, de la presse de proximité.

Une expérience augmentée c’est-à-dire un rapport physique et sensoriel à un outil que les gens aiment partager dans les villes, les métropoles et encore plus les villages. L’usage du papier et le support que cela représente est un outil de partage, physiquement.

Nous recherchons dans quelles circonstances le journal papier peut continuer à être ce vecteur et ce lien physique entre les individus.

Groupe Centre France :

  • 1/5ème du territoire Français
  • 1/15ème de sa population
  • 400.000 exemplaires de quotidiens
  • Entre 65 et 70.000 exemplaires d’hebdomadaires
  • 2 centres d’impression (Auxerre et à Clermont-Ferrand)

 

Concrètement comment traduisez-vous ce lien ?

Nous avons développé des réunions, des débats avec nos lecteurs au sens large du terme, du Populaire du Centre, de La Montagne, dans des cafés et des lieux publics sur des problématiques qui sont les leurs, qui peuvent être la mobilité dans des villes où il est complexe de se déplacer, sur la question de l’environnement, sur la question des solutions durables. Les abonnés traditionnels sont heureux de venir se retrouver avec leur journal, rencontrer des journalistes, avec un travail de dialogue au quotidien. Ils viennent également rencontrer d’autres lecteurs et discutent entre eux. Il se crée parfois des microgroupes qui partagent et reviennent ensuite à la rédaction en proposant des choses. Il est important d’augmenter cette expérience et de la faire grandir.

Nous mettons en place une responsabilité sociale renforcée.

Le journal garde une forme de vérité et d’officialisation d’une information. Ce n’est pas inutile de le rappeler à l’heure des réseaux sociaux. Nous prolongeons nos liens avec nos lecteurs à travers des évènements thématiques comme les Journées du patrimoine où ils peuvent venir eux-mêmes produire et de « maquetter » leur propre journal, avoir cette expérience du choix, de la hiérarchisation, de vérification de l’info.

 

Cela fait partie d’une logique d’éducation média ?

Il est nécessaire de faire comprendre à nos publics, notamment à travers une charte d’engagement que nous avons publiée avec la rédaction autour des municipales, que le titre et le journal sont là pour respecter un certain nombre de droits et devoirs.  Cette charte d’engagement comprend huit engagements majeurs : entre autres, le fait de refuser de publier des sondages locaux considérant qu’il y a eu une forme de manipulation et en tout cas parfois des erreurs graves sur la manière dont ils peuvent être interprétés et exploités. Un certain nombre d’initiatives autour de cette responsabilité renforcée pour faire comprendre à nos lecteurs et à nos audiences au sens large, que le journal se prend en main et engage sa responsabilité.

 

La valeur du journal se traduit-elle aussi pour vous par une approche différenciée du papier et du digital ?

Nous ne jouons pas le digital contre le papier ou le papier contre le digital, mais nous cherchons à les différencier.

En mettant de la profondeur, de la pédagogie sur le papier, en transformant les infos générales qui étaient historiquement et culturellement une compilation intelligente et parfaitement légitime de la hiérarchisation. Nous faisons le focus chaque jour sur des problématiques sur lesquelles les gens n’ont pas les facilités de comprendre les enjeux et la complexité, avec des focus d’experts, des ‘pour’, des ‘contre’, sur des sujets d’informations générales.  La compilation de tout ce qu’il faut savoir sur l’actualité se retrouve ailleurs en permanence, via son smartphone, le JT ou l’info continue.

Dans les attentes du papier, nous diversifions éditorialement nos offres en proposant des magazines dédiés, sur les thèmes de la santé, du sport, du bien-être, de l’économie mais en mettant de la souplesse dans des produits qui sont hyper-réactifs par rapport à l’actualité et qui ont toujours un rapport très ancré dans le lien au territoire qui sont les nôtres. Récemment, nous avons sorti un Hors-Série sur les 80 ans de Guy Roux, le mythique et légendaire dirigeant de l’AJA (Club de foot d’Auxerre), un spécial Raymond Poulidor, un numéro spécial Jacques Chirac vu de la Corrèze, un numéro sur le légendaire Stade Marcel Michelin de l’ASM à Clermont-Ferrand. Nous allons chercher les gens sur l’émotionnel, l’intergénérationnel, l’«expérientiel», le rapport à son territoire, à sa région ou à sa ville d’origine rencontrent un réel succès. C’est rassurant.

Nous avons totalement différencié les supports. Nous avons la même rédaction et les mêmes journalistes, mais les tuyaux de bascule de l’un vers l’autre sont coupés.

 

Sur certaines micros zones les ventes papier augmentent, comment l’expliquez-vous ?

Oui, il y a des endroits en effet avec des sujets au plus près des problématiques de nos lecteurs. En dehors des grèves actuelles, la liaison Intercités Paris-Clermont est  la pire qu’on puisse trouver en France en termes de retard, de manque de qualité, de service etc. et La Montagne a choisi d’être le porte-parole des usagers pour rendre compte de leur ras-le-bol et exiger une amélioration du service et des moyens à mettre en œuvre: « Maintenant, ça suffit ! » a-t-elle titré, le quotidien régional est là pour s’engager.  Le résultat a été incroyable ; les citoyens étaient avec nous. Et c’est notre rôle d’être avec nos lecteurs. Nous avons réussi à faire venir Guillaume Pépy, dirigeant de la SNCF, et Jean-Baptiste Djebarri pour sa première sortie en tant que Secrétaire d’État aux transports. Ils sont venus, ont proposé une interview, mais nous avons préféré un « Face aux lecteur », et sommes allés jusqu’au bout de cet engagement-là, ce ne sont pas les journalistes qui ont posé les questions, ils ont animé la relation entre des lecteurs usagers et la SNCF.  Cette forme de transmission, d’intermédiation, est au cœur de notre fonction et sur une expérience comme celle-là, La Montagne a augmenté ses ventes de plus 2% pendant une semaine sur l’ensemble du feuilleton que nous avons mené. Preuve en est que le papier est plus vivant que jamais. Quand il est bon, et utile à son territoire.

 

Interview réalisée par Cyril Petit, directeur adjoint de la rédaction du JDD.


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