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#Lepapieraufutur Pierre-Alain Raphan, Député de l’Essone, IA for the people

18.03.2020
Pierre-Alain Raphan, député de l’Essonne et membre de la Commission des Affaires Culturelles et de l’Education de l’Assemblée, et aussi co-fondateur du Collectif « IA For My People » qui vise à donner aux Citoyennes et aux Citoyens des chances de pouvoir comprendre, maîtriser et utiliser les outils relatifs à l’Intelligence Artificielle.

Actes du Colloque Culture Papier 2019 : #Lepapieraufutur
Les valeurs de la transition digitale

 

Les réseaux sociaux vous connaissent mieux que votre conjoint

 

Comment abordez-vous la problématique de la consommation du numérique au cours de vos interventions auprès des différents publics que vous rencontrez ?

Le numérique, les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle deviennent des sujets éminemment politiques, touchant toutes les thématiques. Cela remet en cause notre mode de consommation, l’économie, l’emploi, la pollution. Lors de nos interventions sur ce sujet dans différentes réunions publiques, dans les collèges et lycées, nous voyons qu’il existe encore un écart entre la perception, les actions de chacun et la réalité des coulisses du numérique. Nous expliquons très facilement aux utilisateurs que la stratégie des grands groupes, des GAFAM, vise à une domestication des revenus de chacun, mais aussi à instaurer une économie de l’attention. Nous abordons ce dernier sujet, notamment avec les plus jeunes, en leur parlant des réseaux sociaux, des traces qu’ils laissent, et ce qu’en font économiquement ces grands groupes. C’est une culture de domination des individus sur leurs propres données sur Internet qui se joue.

Une étude de Standford a par exemple démontré qu’en analysant 10 de vos likes sur Facebook, l’algorithme vous connaît mieux que vos collègues. 100 de vos likes mieux que votre famille, 230 de vos likes mieux que votre conjoint.

Cela interroge sur les conséquences de ces collectes de données via notamment les entreprises de data brockers, qui très souvent sont étrangères. À l’heure actuelle, il est estimé qu’elles possèdent une fiche sur 95 % de la population française et jusqu’à 5000 types d’informations par personne. Tout cela remet en cause des sujets tels que la politique ou encore la responsabilité d’acculturation. Nous devons faire de la pédagogie et de l’andragogie sur ces sujets, réfléchir à nos propres comportements.

 

Pourquoi avoir choisi de faire un tour de France en 2020 ?

Nous avons pensé qu’il fallait absolument aller au plus près des Citoyens, expliquer l’Intelligence Artificielle et l’évolution des nouvelles technologies, montrer des exemples très concrets, favoriser l’émergence d’un déclic promouvant une sorte d’hygiène numérique. Cette promotion n’est pas seulement faite par des personnalités politiques, mais aussi par des entrepreneurs, ou encore des associations de jeunesse, le tout au sein et en dehors des métropoles. Nous avons appelé notre association « IA For My People » en référence au titre du groupe de rap NTM. Nous sommes partis du constat sur le taux de chômage existant dans certains quartiers. Je suis personnellement issu de l’Essonne, or à Grigny, le taux de chômage chez les 16-25 ans atteint 45 %. Dans le même temps, 80.000 emplois restent à pourvoir dans le numérique. Nous avons donc voulu sensibiliser sur ce paradoxe au travers de sujets qui ne font pas partie du champ des possibles dans ces quartiers-là. Nous avons ainsi pris une référence de Rap par principe pour lancer l’opération et cela a fonctionné ! Nous avons eu des demandes pour intervenir à Amiens, à Rennes, dans des quartiers nord de Marseille, en Corse, en Guadeloupe ou encore dans le Cantal.

 

Quel est votre discours devant ces jeunes ?

Nous donnons à voir la réalité au niveau international et nous ouvrons le champ des possibles dans différentes régions. Nous cherchons à inculquer une culture basée sur ces notions d’hygiène numérique et de responsabilité collective, tout en travaillant sur la complémentarité de l’homme, de la machine, et des modes de consommation associés. Il y a d’ailleurs une phrase qui m’a marqué, de Fei Fei LI, la directrice de l’Intelligence Artificielle chez Google : « les machines sont rapides, précises mais stupides et les humains sont négligents, lents mais brillants ». Il est indispensable de travailler sur cette complémentarité car au final, la machine fait ce que souhaite l’humain. Ainsi c’est à nous de réfléchir collectivement à cette complémentarité, ce qui est l’objet du collectif « IA For My People ».

 

Comment gère-t-on l’économie de l’attention, notamment en direction des plus jeunes puisque ces outils connaissent mieux les enfants que leurs propres parents ?

C’est effectivement l’une de nos responsabilités collectives. Nous avons la chance de pouvoir nous renseigner à chaque instant sur ces sujets, d’être connectés à ce qui se passe à peu près partout dans le monde, mais ce n’est pas le cas de l’ensemble de la population. Nous sommes dans une société de plus en plus aliénante, où nous disposons de moins en moins de temps pour nous, notamment pour se poser, se renseigner sur la réalité dans ce type d’économie. Les GAFAM assument désormais clairement cette l’économie de l’attention, il est même fait référence à une « économie de la dopamine » chez certains acteurs. Notre rôle est d’apporter cette information, de prendre le temps d’expliquer autant que possible ce qui se joue. Très souvent dans cet exercice nous abordons le sujet d’une possible surveillance de masse. Pour cela nous proposons un exercice sur les téléphones portables. Lorsque les jeunes prennent conscience de la notion de géolocalisation par exemple, les questions se pressent en rapport avec les actions quotidiennes. des données, mais de prendre une décision en connaissance de cause.

 

Que leur dîtes-vous alors ?

En substance : « ayez conscience de ce qui se passe, mais c’est vous qui conservez toujours votre liberté d’action en fonction de vos propres choix. Nous avons fait une intervention en CM2 où neuf enfants sur dix avaient potentiellement accès à un compte sur un réseau social. L’hygiène numérique consiste à faire attention aux données générées, de conserver un esprit critique sur les éléments postés. Ce n’est pas parce que c’est écrit sur un écran que cela doit empêcher la réflexion. Il est difficile, voire impossible, de savoir où sont stockées les données, et comment y accéder. Il y a même certains réseaux sociaux où, lorsqu’une photo y est postée, il y a une cession automatique des droits.

 

Les parents ont une responsabilité sur le sujet ?

Certains parents n’ont pas conscience de ce qui se passe. L’évolution des objets connectés est presque impossible à stopper. Imaginez les traces laissées entre les montres, les vêtements, maintenant les voitures, etc. Il y a de plus en plus d’objets du quotidien qui sont connectés alimentant des bases de données de taille croissante. Quand certains acteurs, comme Google, veulent développer des voitures connectées et autonomes, ce n’est pas pour la voiture en tant que telle. Leur stratégie est de transformer du temps de conduite en temps d’action sur le portable. L’objectif d’ « IA For My People » est par exemple d’alerter sur ces sujets.

Les GAFAM sont plus puissants que les états, cela pose un problème quand même…

Joël de Rosnay dans son livre « Je cherche à comprendre » nous dit qu’il sera plus simple de modifier nos comportements sur ces sujets que d’aller combattre la férocité du capitalisme.

Certains projets régaliens sont préemptés par les GAFAM ; à titre d’exemple, la cartographie était auparavant gérée par les états, maintenant ce sont les états qui se servent du Google Maps. Il y a des pays, dont la France fait partie, qui ont nommé des ambassadeurs pour les GAFAM. Il y a des personnes rattachées au Quai d’Orsay pour faire de la diplomatie vis-à-vis de mastodontes d’entreprises privées.

 

N’est-il pas possible de casser leurs monopoles ? Après faut-il encore vouloir le faire et pouvoir le faire.

Les pistes existent, l’Europe s’y penche. Mais ces combats restent très longs et très compliqués. Pour le RGPD, six années se sont écoulées entre le dépôt du premier texte de loi et sa mise en application. Durant ce lapse de temps les GAFAM accentuent leur avance sur le temps politique. Les temps technologique et économique sont toujours décalés. Pourtant nous devons nous efforcer de créer un temps législatif et comportemental au niveau européen. Cela passe par la définition d’une vision européenne sur ces sujets. La France seule, ne serait-ce qu’au niveau financier ne pourra rien face aux géants du secteur.  Certains disent : « Les américains ont les GAFAM et nous, en France, on a les CERFA ! ». Cela traduit la nécessité d’une approche spécifique au monde du numérique.

 

La France garde-t-elle une culture du papier ?

Je suis très confiant dans l’avenir du livre. Par contre j’ai une inquiétude sur l’avenir des libraires de par le phénomène de « plateformisation », de digitalisation. Nous prenons de moins en moins de temps pour aller dans les librairies. Très souvent on a envie d’avoir un livre, tout de suite, de ne pas se déplacer, oriente vers des géants du secteur plutôt que vers un partage humain avec le libraire, le plaisir de chiner. Ce sont ces types de comportements individuels que nous cherchons à interroger, non pas pour les juger, mais afin de s’assurer de la compréhension des conséquences induites.

 

Certains départements mettent en place le livre scolaire numérisé, alors que des études ont montré que l’on retient moins bien sur un écran. Comment voyez-vous les choses ?

Il y a eu une sorte d’ivresse collective à rendre toute l’école numérique. Certaines régions ou départements en ont fait une victoire politique, en communiquant notamment sur le pourcentage d’élèves équipés d’iPad. La question des effets sur la santé via la lumière bleue est par contre elle passée sous silence.

Nous sommes devant un paradoxe prônant d’un côté la diminution de la durée d’exposition à des écrans et de l’autre la distribution d’iPads. Pour autant, Il ne faut pas se couper du numérique, ou le mettre en concurrence avec le papier. Il me paraît difficile de remplacer le plaisir de toucher du papier, de l’objet en lui-même, du plaisir de le voir dans sa bibliothèque pour des raisons qui sont personnelles et donc uniques. Je fais souvent un parallèle avec la musique. Je fais partie d’une génération qui a connue les cassettes, les mini-disc, les CDs, des trucs qui peuvent paraître un peu bizarre aujourd’hui… Maintenant, nous avons de la musique en ligne, et j’en écoute tous les jours. Mais cela ne m’empêche pas de rechercher le plaisir d’écouter un bon vinyle à la maison. Je ne pense pas être le seul dans ce cas puisque l’économie du business du vinyle est en forte augmentation.


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