Accueil>Nos actions>Le Blog #Lepapieraufutur>#Lepapieraufutur Claire Léost, DG, CMI France
Culture #Interview

#Lepapieraufutur Claire Léost, DG, CMI France

18.03.2020
Claire Léost, Directrice Générale de CMI France qui regroupe une douzaine de titres aussi prestigieux tels que Elle, Télé 7 jours, France-Dimanche, Public, Version Fémina, Marianne.

Actes du Colloque Culture Papier 2019 : #Lepapieraufutur
La valeur sociétale de la presse papier

 

Lire sur papier devient un enjeu d’éducation

CMI investie beaucoup sur le papier, pour preuve la sortie d’un nouveau titre Le journal d’Ines. Dans le même temps vous envisagiez le passage à l’abonnement numérique pour la même marque Elle. Aujourd’hui, quelle place est donné au papier dans un groupe de presse que l’on recrée et quelle valeur le papier possède chez CMI ?

J’ai essayé de réfléchir à l’évolution de notre vision du papier auparavant chez Lagardère et maintenant chez CMI. Pendant longtemps le combat était centré sur l’écologie, parce à l’époque des amis nous disaient : « ah, tu travailles dans la presse, donc tu détruis la forêt amazonienne » ou quand vous lisez vos mails avec la mention : « n’imprimez pas ce mail si vous voulez préserver l’environnement ». Nous avons dû faire face à une vision fausse et négative du papier comme destructeur de l’environnement. Ce sont en effet des idées reçues totalement fausses puisque 100% de nos approvisionnements en papier viennent de l’Europe de l’Ouest, de forêts qui sont gérées durablement et qui progressent ; la superficie de la forêt en l’Europe de l’Ouest progresse d’environ 1 millions d’hectares chaque année. Nous avons énormément travaillé aussi sur les sources d’approvisionnement afin de réduire la distance entre nos centres d’approvisionnement papier et nos imprimeries. De même sur l’encre, sur les vernis qui ont tous été supprimés de nos magazines. Le magazine Elle sera le dernier au 1er janvier, car le vernis était extrêmement toxique. Nous travaillons sur le recyclage des invendus avec PRESTALIS.  Les papiers recyclés représentent environ 50% de nos papiers – Il n’est pas possible de passer à 100% à cause de problèmes de place et de fragilité du papier, mais nous avons énormément progressé sur ce sujet.

 

La presse a fait collectivement énormément d’efforts au  niveau de notre empreinte carbone.

Et finalement, nous assistons à un retournement ; le papier était vu comme quelque chose de négatif, mais aujourd’hui avec le digital prétend être un outil de liberté, qui nous permet d’avoir accès à des connaissances infinies mais il s’est révélé être un outil de propagation d’informations qui ne sont ni vérifiées, ni ressourcées, et qui souvent sont fausses.

Donc aujourd’hui on nous dit : « Ah, vous travaillez dans le papier, c’est formidable ! au moins vous êtes crédibles. »  Sur le papier, CMI veut se démarquer du digital. Cela passe par des investissements. Pour Elle, nous avons choisi d’augmenter la qualité du papier, et aussi d’augmenter la pagination. À contre-courant du passé, où le digital fragilisait nos modèles économiques. Nous avions tendance à réduire nos formats, notre papier, les paginations ; nous étions dans une sorte de spirale malthusienne aussi notre analyse a été de faire exactement l’inverse, investir dans le papier.

 

Et cela a produit des résultats positifs…

Absolument. Pour reprendre l’exemple de Elle, le chiffre d’affaire est en progression cette année de plus 3%. Ensuite, il y a ce sujet de l’éducation, quand nous regardons les taux de lecture par tranche d’âge, il s’avère que les jeunes jusqu’à 10-11 ans lisent énormément, la presse enfant se porte très bien, mais après nous les perdons complètement à l’adolescence. C’est-à-dire qu’au moment où les jeunes deviennent autonomes et choisissent eux-mêmes leurs lectures et ce qu’ils vont faire de leur temps, ils arrêtent complètement le papier ! C’est très compliqué de s’adresser à cette cible, mais cela signifie qu’ils se forment à l’information par les réseaux sociaux avec des informations souvent fausses.

 

L’accès à l’information devient un enjeu d’éducation et de formation des citoyens. Comment y répondre ?

Nous avons développé des événements autour de nos marques : « Elle power girl » pour les petites filles, « Elle campus » pour les jeunes filles ou nous expliquons, la différence entre un article fait par un journaliste professionnel qui a été formé, qui vérifie ses informations et un article qui provient de Facebook et qui n’est absolument pas vérifié.

Par ailleurs s’est engagée une discussion avec le Ministre de l’Éducation Nationale pour rendre obligatoire un cours d’éducation aux médias. Aujourd’hui ce cours est optionnel au Cela nous paraît un enjeu majeur aujourd’hui. Notre actionnaire est très engagé dans ce combat contre les fakenews et dans son pays, la République Tchèque, il est en train de faire voter une loi qui permettra de distinguer un contenu sur internet qui est issu d’une source de journalistes professionnels ou bien non crédité, non sourcé.  Un petit logo sera présent sur chaque page, pour différencier un contenu journalistique ou pas.

Enfin reste le sujet du désert d’informations. Toutes les rédactions ont été réduites aussi, il y a des zones qui ne sont plus couvertes, notamment des zones de guerre. Je me souviens de deux journalistes qui avaient fait un reportage au Yémen, qui étaient revenus et qui m’avaient raconté que là-bas ils n’avaient rencontré personne alors qu’il y a dix ans on croisait le New York Times, les espagnols, les allemands. Aujourd’hui, il y a des zones du monde où il y a des guerres, des événements qui ne sont plus du tout couverts. Donc c’est aussi de notre responsabilité de continuer à envoyer des grands reporters et des journalistes partout où il se passe quelque chose.

 

Cette nécessité aussi de rendre payant les contenus numériques va-t-elle aider finalement à soutenir le papier ?

Oui nous avons compris que le salut ne passerait pas par la publicité digitale parce que la majeure partie est captée par les GAFA, notamment Facebook et Google. Sur la presse, nous avons toujours eu trois sources de revenus : les abonnements, la vente au numéro, et la publicité. Nos contenus ont toujours été payés à la fois par les annonceurs et les lecteurs. Aussi, il faut absolument que nous arrivions à faire payer nos lecteurs pour des contenus en ligne. Effectivement tous les éditeurs vont être poussés à produire des contenus de plus grande qualité, des contenus longs, des scoops, des exclusivités. Cela va nous permettre de développer un internet de meilleure qualité.

 

Interview réalisée par Cyril Petit, directeur adjoint de la rédaction du JDD.

 

 


Continuer la lecture