Comme son précédent « Petit traité de l’économie de l’attention », La nouvelle civilisation du poisson rouge est bourré de chiffres souvent édifiants illustrant un devoir d’alerte décapant, toujours limpide.
Le temps d’écran a augmenté depuis 2020 de 60 % chez les 6-10 ans, 70 % chez les adolescents et 40 % chez les adultes.
Les nombreux méfaits que ce temps d’exposition aux écrans entraine notre « société de fatigue« ’ que le Président d’Arte brosse cliniquement, notamment cet excès d’instrumentalisation des émotions au détriment de la raison scientifique qu’il nomme ‘émocratie’ avec un double impact : individuel, par un épuisement psychique, et collectif, par une polarisation des débats publics.
Si les réseaux sociaux sont un « cinquième pouvoir », las, ils ne sont pas un contre-pouvoir efficace et, leur éthique plutôt balbutiante est encadrée par le juteux « vol, effectué par l’alliance de la technologie et du modèle économique de publicité ciblée grâce à nos données”. Ils nous enferment avec force algorithmes addictifs dans le bocal.
Refuser tout déterminisme technologique
Malgré les risques tangibles de « dé-civilisation » (cf. l’invasion du Capitol US) et d’exploitation de la psyché humaine « entre intranquillité permanente et enfermement hypnotique » jusqu’à l’épuisement, Bruno Patino technophile assumé reste d’un relatif optimisme pointant les initiatives alternatives comme l’émergence d’une Déclaration des droits du cerveau, définie comme une limitation de l’extraction et l’exploiter de nos données numériques comportementales, ou de la création de réseaux sociaux de service public.
La nécessité de définir d’une « responsabilité algorithmique »
Avec la même foi – ou innocence – dans les valeurs fondatrices du net – décentralisation, libertaire et démonétisé – le lanceur d’alerte tente de convaincre qu’une ‘autre vie numérique’ est possible : individuellement en prenant conscience de notre « servitude numérique volontaire », et au niveau collectif, de définir puis d’imposer aux acteurs du numérique une « responsabilité algorithmique » (sur le modèle de la traçabilité alimentaire) puisqu’il s’agit de rendre transparente « la mesure indépendante de leurs effets » notamment cognitifs.
Toute une panoplie de propositions est exposée
De la discipline individuelle nécessaire, avec des “séminaires de déconnexion”, à la définition d’espaces et de lieux où la connexion n’est pas de mise, ce qu’il appelle « limiter le domaine du calcul »). Pour la sphère collective et politique, il appelle « à maîtriser les monstres par la responsabilité algorithmique, les pousser à insérer des freins à leur machine, et construire des solutions différentes qui n’obéissent pas à la même logique ».
Sans oublier l’enjeu environnemental : » La question environnementale est la prochaine grande question à laquelle va être confronté le développement numérique. Avec, comme toujours, l’alternative entre la sobriété, que nous ne voyons pas arriver (le metavers est le passage d’un internet individuel en deux dimensions à un internet collectif en trois dimensions, c’est un projet qui va consommer une énergie folle), et « l’environnementalisation » de l’énergie utilisée par le numérique (des fermes de serveurs, en particulier). »
Olivier Le Guay