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Société #Interview

Utiliser du papier pour des informations jetables ne se fera plus, pour Alexandre Joux, IMSIC

06.01.2021
[Spécial 2020-2030] L’avenir de la presse se dessine différemment suivant le contenu et la périodicité des supports. Pour Alexandre Joux, directeur de l’Ecole de journalisme et de communication d’Aix Marseille Université, chercheur à l’Institut Méditerranéen des Sciences de l’Information et de la Communication (IMSIC), le principal impact d'une fin de l’imprimé en limitant la « subsidiarité » entre les articles fait triompher le parcellaire.

Quelles différences voyez-vous entre la lecture de la presse papier et celle sur internet ?

La spécificité du journal imprimé est de proposer une offre globale d’information. Le lecteur va être amené à découvrir des sujets qu’il n’aurait pas forcément lus. C’est le principe de « subsidiarité » entre les articles : on achète le journal pour quelques pages et on découvre les autres.

L’imprimé est un formidable moyen de stimuler la curiosité du lecteur
sur des sujets où il n’a pas un intérêt évident dans un premier temps.

Avec le numérique nous allons de plus en plus vers des articles à l’unité en fonction de recommandations, ou de recherches personnelles, avec certes une certaine efficacité mais qui a pour contrepartie la perte de curiosité. Hegel disait de la lecture quotidienne du journal qu’elle est « la prière de l’homme moderne » parce qu’elle entretient une curiosité pour l’actualité du monde. L’imprimé a cette spécificité. Concrètement le papier a encore un avenir car ces pratiques ne se retrouvent pas de la même manière sur internet. En revanche elles redeviennent élitistes.

Qu’incarnera le papier dans 10 ans ?

Nous allons revenir à un monde d’avant internet avec un pool de lecteurs très fidélisés qui auront encore besoin de cette offre large, complémentaire du web pour retrouver sur le papier ce qui n’a pas été dit sur internet. À l’image des pratiques éditoriales spécifiques comme Le 1, ou le format long avec Society. Pour le reste, utiliser le papier pour des informations jetables qui arrivent sous forme de push ne se fera plus.

Pour les magazines, le numérique est en train de s’imposer totalement et dans des genres aussi différents que Grazia ou L’Express. Le papier survit car c’est plus pratique pour l’emporter à la plage, mais la bascule en ligne est de plus en plus importante.

Les magazines à forte utilité sociale, à long terme, se porteront bien ; Comme la presse professionnelle ou les formats longs commercialisés en librairie, les revues ou les hors-séries, qui sont dans une logique de conservation.

La stratégie des groupes de presse est en train de changer, l’information n’est plus au centre de leurs ressources ?

Certainement, à l’exemple de Reworld, le premier groupe de presse magazine en France aujourd’hui. Il exploite les marques pour une distribution en ligne mais il réalise son chiffre d’affaires en organisant des salons, du e-commerce. Le coût dédié à la fabrication du format papier est dissuasif. Je sais que vous défendez le papier mais à cause des coûts industriels dissuasifs le papier a de moins en moins bonne presse, surtout pour les quotidiens. Je lis le format papier car cela est lié à mon métier mais cette pratique n’est pas la plus partagée. En fait, les lecteurs occasionnels d’avant se retrouvent maintenant sur internet. Les abonnés aux grands quotidiens nationaux représentaient une minorité de Français. Nous avons eu cette illusion que les Français allaient se mettre à lire la presse massivement sur internet mais ce n’est pas ce qui se passe. S’ils lisent des articles en ligne, ils ne sont pas devenus des lecteurs quotidiens de presse comme il y en avait avant l’arrivée d’internet.

L’accès à l’information et la manière dont les jeunes générations s’informent ne deviennent-ils pas l’enjeu de la presse ?

Pour moi cela ne se pose pas en termes de qualité mais cela change fondamentalement la façon d’être informé. Quand vous lisez Le Monde ou Le Figaro, vous le feuilletez du début à la fin et même si vous ne lisez que 4 ou 5 articles, vous lisez tous les gros titres ; vous savez qu’il y a une actualité dans le BTP ou en Ukraine même si ce n’est pas ce que vous cherchez. Cela vous donne un panorama que ce que les rédactions considèrent comme important.
Quand vous basculez en ligne, c’est en fonction des mots clés. Vous n’avez plus cette capacité à voir d’autres informations. Après les journalistes continuent à faire leur travail.

Le papier, surtout dans la presse quotidienne nationale, sert à avoir cette vision d’ensemble de l’information
qui est beaucoup plus parcellaire aujourd’hui sur internet.

Propos recueillis le 22 décembre 2020 pour lire ou télécharger le n°40 Spécial 2020-2030
En savoir plus : https://ejcam.univ-amu.fr/fr/laboratoire-imsic


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