Accueil>Nos actions>Le Blog #Lepapieraufutur>Quand je reprends un livre, il a les traces des lectures précédentes évoque le philosophe Fabrice Midal
Culture #Interview

Quand je reprends un livre, il a les traces des lectures précédentes évoque le philosophe Fabrice Midal

29.05.2020
Historien d’art, philosophe, et fondateur de l’École occidentale de méditation, Fabrice Midal a publié récemment 3 minutes de philosophie pour redevenir humain, issus de podcast de France Culture. Il anime également la série Philosopher au temps du confinement, sur Youtube. Pour cet auteur plurimédia prolixe, refusant les étiquettes, le livre nous aide à habiter et nous ramène à l’essentiel.

Comment le papier et l’imprimé ont-ils compté dans votre confinement ?

J’ai toujours eu besoin d’avoir des livres autour de moi. Je me souviens, quand j’étais étudiant, je préférais aller dans les restaurants universitaires, où je pouvais manger pour quelques francs, et faire des économies pour pouvoir acheter des livres. Je sentais déjà que les livres m’accompagneraient toute ma vie et m’aideraient à grandir. On grandit et on se développe avec nos livres. Les livres que j’ai lus quand j’avais 20 ans, que j’ai relus quand j’ai eu 30 ans, que je relis aujourd’hui, sont nourris du temps que j’ai passé avec eu. Quand je reprends un livre, il a les traces des lectures précédentes. Je retrouve les notes que j’avais écrites dans les marges et l’index que, souvent, je fais à la fin pour retrouver les passages importants. Tout cela nourrit très profondément le livre. Sur internet, il n’y a pas toutes ces traces. C’est comme si le temps avait disparu.

Quand le confinement a commencé, beaucoup de gens ont voulu quitter Paris et partir à la campagne. Personnellement, j’étais content de quitter le Paris journalier où on va de rendez-vous en rendez-vous. Mais j’ai rejoint un autre Paris, celui de mes livres, dans la bibliothèque qui est au cœur de mon appartement. Les livres ont fait que le confinement n’a pas changé fondamentalement mon existence. J’ai continué à travailler et à habiter ma bibliothèque, avec tous mes livres.

À mon avis, un des problèmes du monde d’aujourd’hui, c’est qu’il est devenu très difficile d’habiter quelque part. Nous sommes souvent dans des lieux où nous sommes juste de passage : des gares, des aéroports… Peut-être que le confinement nous a fait prendre conscience que c’est une situation très difficile à vivre et qu’il est fondamentale d’avoir un lieu que l’on puisse habiter, où l’on puisse se sentir chez soi et se poser. Ou l’on se sent en sécurité. Pour moi, parce que les livres sont porteurs d’une expérience de vie, leur présence me permet de me sentir vraiment chez moi, là où j’habite.

Quel rôle les livres peuvent-ils tenir dans l’après COVID ? En quoi peuvent-ils participer à la reprise ?

Pour beaucoup de personnes, le confinement fut une expérience douloureuse et difficile. Mais il a aussi permis de sentir la nécessité de revenir à des choses essentielles, de nourrir notre âme, de ne pas se perdre dans la routine. La question qui se pose maintenant est la suivante : comment faire pour ne pas perdre cet élan avec le retour à la normal ? Le livre est un ami incomparable. Il peut nous accompagner dans ce retour à l’essentiel. Il peut nous aider à entrer en dialogue avec nous-même, à questionner notre existence, à savoir où on en est et ce qui compte réellement pour nous. Il nous donne aussi de nouvelles sensations, de nouveaux paysages. Il ouvre de nouveaux champs.

Pendant la période de confinement, il était difficile d’avoir accès au livre papier, beaucoup de personnes n’avaient pas d’autre choix que d’avoir recours au livre numérique. Ce que vous décrivez s’applique-t-il aussi au livre numérique ?

Il y a une quinzaine d’année, on pensait que le livre numérique allait exploser et que ce serait la fin du livre papier. Ça n’a pas du tout été le cas. Aujourd’hui, on a suffisamment de recul pour voir qu’il y a quelque chose de très insatisfaisant dans le livre numérique. C’est exactement comme avec une œuvre d’art. Quand on voit une œuvre dans un musée, il y a un face à face, une présence. Un dialogue s’instaure. Cette expérience ne peut pas passer au travers de la reproduction numérique de l’œuvre. On oublie que nous sommes des êtres charnels, marqués par le rythme du temps, de la journée. Nous ne sommes pas de purs esprits. Le livre papier parle à cette dimension extrêmement humaine. Evidemment ici l’objet livre compte et donc j’aime mieux certains livres que d’autres.

Quel avenir voyez-vous pour le livre papier ?

L’avenir, c’est que les livres soient de plus en plus des livres — singulier, beau, nous faisant vivre des expériences. Grâce à l’évolution des techniques, on a la capacité de faire des livres qui soient encore plus de véritables objets. Chaque livre est un prototype. Plus nous irons dans la direction du prototype – plus nous serons inventifs sur la mise en page, sur les couvertures – plus on mettra en avant l’importance du livre papier. Il faut donc aller à contre-courant de la standardisation et faire de chaque livre un objet singulier capable de nous accompagner et de nous aider à habiter.

Le livre nous aide à habiter et nous ramène à l’essentiel. Ce sont deux axes complémentaires qui s’enrichissent l’un et l’autre. L’un est horizontal et l’autre est vertical. L’horizontalité est liée à la beauté du livre, le fait que je puisse le prendre en mains, le mettre dans ma poche, voyager avec lui, l’emmener à la plage, dans le métro… La verticalité, c’est ce qui me ramène à l’essentiel. C’est lié au fait que le livre nous permet à la fois de nous élever et d’entrer dans la profondeur de notre être.

En tant qu’éditeur, avez-vous des craintes pour l’avenir du livre papier, à l’heure où, le télétravail, la dématérialisation se répandent ?

Ce qui va être décisif, c’est de créer une solidarité d’un bout à l’autre de la chaîne du livre, entre les éditeurs, les diffuseurs et les libraires. Tout part des librairies : c’est là que les lecteurs rencontrent les livres. Il faut inviter les lecteurs à aller dans les librairies. Il faut en faire des lieux de vie, des lieux où on se rencontre, où on ressent qu’on appartient à une communauté humaine. Comme éditeur chez Pocket, j’ai beaucoup travaillé à organiser des conférences avec nos auteurs et faire que la librairie devienne ce lieu central de la vie de la communauté humaine. Et en tant qu’auteur, je pense qu’il est de ma responsabilité de soutenir les libraires. Aussi, je me suis dit que l’essentiel de ce que j’aurai à faire dans les mois à venir, c’est d’aller dans les librairies pour rencontrer les lecteurs et parler des livres.

 

Le collector qui a été fait sur son propre livre Foutez-vous la paix et commencez à vivre ! témoigne du formidable souci de l’éditeur Pocket pour faire des objets singuliers.

Sa couverture en micro-perforation montre la créativité nouvelle que le papier rend possible comme cet exemple ; Shinrin-Yoku du Dr Qing Li


Continuer la lecture