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Pour Jean-Daniel Belfond (éditions de l’Archipel), l’urgence est de créer l’équation Lecture = Plaisir pour tous les enfants

24.06.2020
Dans la tourmente du covid et de la fermeture des librairies, Jean-Daniel Belfond, directeur des éditions de l’Archipel fait le récit de l’évolution de son métier, avec la montée en puissance du livre numérique, et les actions pour repenser la chaîne du Livre. Il revendique aussi que la lecture chez les jeunes devienne une Grande Cause nationale.

Comment le papier a-t-il compté dans votre confinement ?

Je me suis adapté à la situation. Avec mon équipe, nous avons changé notre façon de travailler ensemble. Depuis quelque temps déjà, nous n’acceptions plus de manuscrits papier en soumission. Nos lecteurs sont équipés de liseuses. Nous avons décalé notre calendrier de publications pour ne pas trop charger les libraires. Notre premier office postconfinement a eu lieu le 25 mai.

Les yeux des ténèbres, un suspense de Dean Koontz, est classé dans les meilleures ventes actuellement ; rédigé en 1991, il annonçait pour 2020 une épidémie mondiale qui viendrait de Wuhan ! Il avait anticipé l’année et le lieu !

 

De quelle manière votre maison d’édition a-t-elle été impactée ? 

Comme toutes les maisons d’édition, nous avons souffert de la fermeture des librairies entre le 15 mars et le 11 mai. Nous avons perdu une bonne partie de nos recettes, mais, dans le même temps, les ventes numériques ont bondi, passant de 10 à 18% de notre chiffre d’affaires. Bien sûr, cela n’a pas compensé les pertes mais cela a prouvé que beaucoup de clients se sont mis au téléchargement comme moyen de lire.

 Incontestablement, la grande majorité des lecteurs reste attachée au papier.

Quel rôle le livre numérique pourrait avoir dans la reprise ?

Le rapport ventes numériques / ventes totales en France reste très inférieur à celui constaté chez nos voisins allemands ou anglais, sans parler des Etats-Unis où il atteint 50% pour certains bestsellers. En France, nous plafonnons à 10, 20% maximum pour certains titres. Les Français restent fidèles au « vieux monde » et au livre papier, au toucher, aux bibliothèques municipales.

Je vois aussi que certains – moins nombreux certes – veulent se débarrasser de leur bibliothèque et racheter leurs livres en version numérique. J’appartiens à une génération qui reste attaché aux livres papier. Nous vivons une époque qui aura connu la décroissance du papier et la montée du numérique. Dans quelques décennies, nous serons équipés d’une puce communicante greffée dans la tête et notre cerveau sera relié à la puce ! La pensée de l’auteur se déversera directement dans le cerveau du lecteur. On lira en dormant !

Comment voyez-vous l’avenir du papier ?

Dans un demi-siècle, il y aura encore du papier mais dans cent ans ? Il est bien difficile de prévoir. On peut juste regarder le passé : nous sommes passés en dix ans de 0 à 10% du CA pour les ventes de fichiers numériques. Si vous regardez plus loin, avant 1995 les emails n’existaient pas, on ne passait pas sa journée de travail rivé à son écran à répondre aux messages. Tout a changé dans notre mode de travail. J’ai connu l’époque des fax, des Minitel… même la comptabilité des entreprises tenue au stylo dans des cahiers d’écolier.

Nous vivons une révolution, un mouvement. Nous sommes certes nostalgiques du papier mais le mouvement du tout papier vers le zéro papier est irréversible.

 

Allons-nous vraiment vers le zéro papier ?

Je ne sais à quelle échéance, le plus tard possible. Certes, il existe des contre-exemples. Aux États-Unis, en Angleterre, le pourcentage de lecteurs adeptes du téléchargement plafonnait ces dernières années. Le numérique bute sur une limite. Quant au métier d’éditeur, il demeurera quel que soit le support ; le travail sur le texte, la composition, la maquette de couverture offre à un livre une plus-value irremplaçable. S’il est facile de se faire auto-éditer via une plateforme, ce travail de relecture, d’élimination des imperfections de fond et de forme fait toute la différence !

L’éditeur investit dans un livre.

Dans un appel convergent, éditeurs indépendants et libraires proposent quatre chantiers de travail pour repenser la chaîne du livre : taxe sur le pilon, offices réguliers pour le fonds, tarif postal unique et taux de remise minimal pour les libraires, qu’en pensez-vous ?

Pour la taxe sur le pilon, il faut voir de quoi on parle. Des stocks neufs d’éditeur dans les entrepôts ? Des retours des libraires ? Je n‘en comprends pas le sens.

Des offices réguliers pour le fond ? Dans un monde idéal, nous aimerions que tous les libraires gardent des ouvrages de fond, c’est-à-dire des livres de référence. C’est le cas pour certaines, dont les grandes Fnac. Hélas, depuis des années, le fond disparaît des librairies pour des raisons de trésorerie car tout livre proposé à la vente a été acheté et payé par le libraire. Cela mobilise de la trésorerie. Il y a le désir et la réalité…

Quant au tarif postal unique, il est certain que nous devrions disposer d’un tarif spécial, moins cher, pour affranchir les livres en France et dans le monde. La plupart des tarifs postaux « livres », qui existaient il y a quelques années, ont été supprimés sur l’autel de la rentabilité.

Quant à un taux de remise minimal pour les libraires, cela mérite réflexion. En Amérique du Nord, tous les libraires disposent d’une remise de base de 40%, qu’ils commandent un ou cent livres. En France, une remise minimale très basse s’applique à tous, autour de 25%. La remise effective que se voit appliquer le libraire dépend du CA annuel qu’il réalise et de ce qu’on appelle le qualitatif – sa capacité à suivre les opérations promotionnelles proposées par le distributeur. C’est un système spécifique, mais les deux façons d’opérer coexistent.

Dans cette disruption sociétale accélérée, quelle est votre proposition pour que le papier ait sa place dans le « capitalisme numérique » ?

C’est très clair : ma proposition est d’inciter les enfants, à partir de l’école maternelle, à lire des livres papier pour que dans leur tête se crée l’équation Lecture = Plaisir. Si nous arrivons à cela, alors dans quarante ans les livres papier se vendront encore. Si, comme c’est le cas actuellement pour les enfants, Livres = Ennui, le livre papier – et le livre tout court – disparaîtra. L’enjeu se situe dans la classe et je ne suis pas très optimiste. Quand je compare la génération qui nous précède, qui lisait bien davantage que nous et celle qui nous suit (nos enfants, pour la plupart, lisent moins), il apparaît un enjeu qui devrait être une Grande Cause nationale, à savoir tout faire pour développer le goût de la lecture chez les petits.

Inciter les enfants à lire pour leur donner le goût de la chose imprimée.

Nous avons un ennemi extrêmement puissant : l’écran, qu’il propose des jeux, des films, des séries – l’absorption d’images demande un effort moindre. C’est la solution de facilité. Les gros lecteurs d’aujourd’hui – hélas de moins en moins nombreux – ont pris l’habitude de lire dès l’enfance.

 

Propos recueillis le 22 juin par Patricia de Figueiredo

www.editionsarchipel.com

 

 


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