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Écosystème #Interview

Pierre-François Catté (groupe CPI) appelle une approche plus globale et plus soutenable de la chaîne du livre.

09.06.2020
Poids lourd européen de l’imprimerie de livres « noirs » (littérature- sciences) - l’Allemagne et la république tchèque représentent 45% du CA, Angleterre 40%,  la France et l’Espace se partagent les 15% restants - le groupe CPI possède trois sites de production en France, Firmin-Didot, Brodard & Taupin et Bussière, avec chacun leur spécificité. Pierre-François Catté, son Directeur Exécutif, nous donne sa vision européenne d’un secteur industriel et culturel fragilisé par la fermeture des librairies.

Le papier a-t-il compté – et comment – dans votre confinement ?

Je n’ai jamais travaillé autant de ma vie ! Le groupe CPI compte 3 000 employés au niveau européen et 10 personnes en corporate très engagées au quotidien. Nous sommes en prise permanente dans la gestion d’une crise que nous n’avons jamais connue. La tension est extrême.
En temps normal je lis entre 3 à 4 livres par semaine et pas forcément ceux que nous imprimons. J’ai dû réduire mon quota.

Quelle est la situation de vos imprimeries en Europe actuellement ?

Toute la chaîne du livre s’est bloquée avec la fermeture des points de vente, des librairies dans tous les pays européens.Globalement les éditeurs ont honoré les commandes qu’ils nous avaient passées et que nous avons imprimées rapidement avant le confinement.

En France, nous avons très largement fermé pendant quelques semaines nos usines. Depuis le 15 mars en France comme en Allemagne, un peu plus tard en Angleterre. Nous reprenons doucement avec des commandes pour l’été et l’anticipation de la réouverture des points de vente. Le groupe tourne à 60 % de ses capacités en moyenne et 40% en France. Nos équipes ont été mises en chômage partiel dans tous les pays où nous opérons en bénéficiant des formules locales. En France les salariés au chômage partiel  touchent 84% de leur salaire, en Allemagne 60% et en Angleterre un plafond.

Notre objectif est de protéger le cash avec deux buts : un à court terme pour passer la crise et l’autre de repartir avec la mise en place du fonds de roulement nécessaire, partiellement en négociant des termes de paiements avec nos fournisseurs, ce qui est compliqué pour eux car ils souffrent également .

Globalement, le personnel de CPI et leurs organisations représentatives ont été et sont très responsables dans la gestion de cette crise. Dans certains pays, les managers de CPI ont réduit leurs salaires de 20 à 40%

Notre vision intègre une reprise partielle en mai et juin, et l’entièreté de notre capacité d’impression à partir du mois d’août.

Imprimerie CPI Brodard et Taupin © DR

Comment voyez-vous le marché de l’édition après cette crise ?

Il y aura des dégâts à tous les niveaux. Certaines maisons d’éditions auront du mal à passer cette crise, quelles que soient les aides. Il en va de même pour la distribution, les grossistes et tous les points de vente. En Angleterre des grossistes rencontrent d’importantes difficultés. En Europe certains distributeurs se remettaient juste de difficultés passées.
Certains imprimeurs vont peut-être ne pas survivre à la crise. CPI fait tout pour rester autofinancé pour le long terme.
Passé le court terme, le niveau éventuel d’endettement de certains acteurs de la chaîne va être compliqué à gérer.

Il existe une vraie solidarité dans le groupe et nous travaillons en collaboration très ouverte avec nos fournisseurs.

Quel rôle le papier peut-il tenir dans l’après Covid et participer à la reprise ?

Les éditeurs et distributeurs vont chercher à comprendre le profil de reprise du marché.

La chaine papier/impression va devoir être très réactive pour coller à cette reprise du marché qui reste imprévisible. Notre industrie est une industrie de frais fixe et toute baisse du marché ou changement des modèles de stockage/distribution va exiger une très grande flexibilité. Nous sommes fortement investis en outils d’impression digitaux ce qui nous apporte une grande flexibilité et réactivité pour les quantités. Le lectorat du livre « noir » ou classique comporte deux pôles : la littérature et les publications scientifiques.

Sur la partie scientifique et technique, le lectorat s’habitue à internet et les éditeurs basculent sous la contrainte et globalement, ils peuvent être gagnants ; nous avons observé ce basculement depuis quelque temps, la crise va l’accélérer. En Angleterre, ces activités d’impression technique représentent 50% de notre chiffre d’affaires. Il n’en va pas de même sur la partie littéraire qui reste plus largement sur papier Mais globalement Il y aura un nettoyage de la structure du marché, les volumes risquent de baisser. 

Imprimerie CPI Bussière © DR

Peut-on assister à une relocalisation industrielle en France ?

Certaines productions parties à l’étranger pourraient revenir avec une solidarité sur la chaîne de valeur qui pourrait se créer. Certains éditeurs ont vécu une rupture dans leur chaine d’approvisionnement, ce qui pourrait amener des changements dans leurs stratégies.

Mais ce n’est pas toujours aisé. À titre d’exemple dans l’usine de LECK, en Allemagne, nous étions en train d’installer une nouvelle machine numérique HP. Las, elle est toujours en pièce détachée et cela prendra du temps avant qu’elle ne soit opérationnelle.

Va-t-on assister pour autant à une coalition d’intérêts communs pour équilibrer et faire repartir l’ensemble de la filière ? De notre côté, nous cherchons à gérer la situation avec nos fournisseurs mais tous les acteurs pourront-ils le faire ? Les assureurs crédits et l’affacturage auront également un rôle à jouer. La relocalisation industrielle requiert donc tout un ensemble de convergences, qui se fera dans la durée.

Cette industrie était déjà en tension, elle n’était pas prête à vivre une crise de cette ampleur.
Concernant CPI, le groupe a survécu à différentes crises et je reste confiant.

Quels types d’innovations attendez-vous de l’écosystème du papier face aux nouveaux enjeux qui se profilent ?

Notre outil digital va s’avérer très précieux en permettant de faire plusieurs choses, d’équilibrer la charge, la différentiation, l’intégration du workflow, la réduction des coûts. Il reste encore des zones de déperdition et de gaspillage et cela va nous permettre d’aller au bout d’un certains nombres de modèles digitaux ou distribution intégrée pour rendre cette chaîne du livre encore plus efficace et vertueuse.

Dans cette disruption sociétale accélérée, quelle est votre proposition pour que le papier ait sa place dans le ‘capitalisme numérique’ ?

Nous représentons 40% du marché anglais et une large part du marché allemand en publications techniques. Ces productions sont imprimées à 90% en digital.

En France, CPI a massivement investi en digital, sur le site de Bussière notamment, converti à 85% en digital avec des outils d’une immense flexibilité qui demandent moins de main d’œuvre. L’impression numérique permet des gains de productivité de plus de 20% et permet également l’optimisation de la distribution et du taux de rebut. Cela contribue fortement à la pérennité du modèle papier.

Les cinq dernières années, nous avons presque doublé, tous les ans , nos volumes imprimés en digital ; la poursuite de cette tendance est, de notre point de vue, une des clés de la pérennité du papier. Une autre clé est l’optimisation et l’intégration de la distribution. Le sens de l’histoire est la diminution des coûts par l’intégration des workflows de nos clients et de la distribution.

J’espère qu’il sortira de cette crise une approche plus globale de la chaîne et un rapprochement humainement plus soutenable. Un certain nombre de décideurs ont été impactés par cette crise et vont souhaiter relancer leurs activités avec une vue plus sécurisée de la chaine de valeur du média imprimé. Les taux de casse de ces dernières années ont été importants. Il ne faudrait pas que le système bascule.

 

Propos recueillis le 14 mai 2020 par Patricia de Figueiredo


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