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Lire et Faire lire, c’est un partage intergénérationnel du plaisir de la lecture (Michèle Bauby-Malzac)

07.07.2020
Présidente de Lire et Faire lire, Michèle Bauby-Malzac revient sur l’impact du covid qui a obligé de reporter en 2021 l’anniversaire des 20 ans de l’association. Malgré l’omniprésence des écrans, elle reste convaincue que le lien avec le livre, entre un senior bienveillant et un petit groupe d’enfants afin de partager le plaisir de la lecture, reste essentiel.

Michèle Bauby-Malzac,
Pdte Lire et faire lire © DR

Comment le papier a-t-il compté pendant votre confinement ?

Il a énormément compté mais j’ai éprouvé des sentiments contradictoires. En tant que présidente de Lire et Faire Lire, j’ai accompagné mon équipe en télétravail et j’ai vite été inquiète de manquer de papier et d’encre pour imprimer mes documents. Aussi, par souci d’économie, j’ai relu sur écran le rapport d’activité annuel qu’il fallait valider, un texte conséquent et important pour l’association. 50 pages sur écran ce fut une véritable épreuve. Je ne suis pas certaine de sa mémorisation.

Lire, réfléchir, comprendre ne peut se faire qu’à partir d’un texte papier selon moi.

La lecture a toujours été très importante pour moi, et de façon encore plus pendant cette période. Après avoir écouté assidûment la radio, je me suis tourné vers la lecture.

Pouvez-vous partager vos découvertes littéraires ?

Je fonctionne au coup de cœur. La plupart du temps, ce sont mes amis ou mon libraire qui me conseillent. Je retiendrai quatre titres :

  • « L’Hibiscus pourpre» de Chimamanda Ngosi Adichie, une auteure nigériane engagée. Ce roman, écrit en 2003, avait reçu le prix de meilleur roman du Commenweath. L’histoire vue à partir du regard de la fille, d’une famille bourgeoise africaine aisée avec un père très rigoriste, religieux, très violent avec sa femme et ses enfants mais admiré et vénéré. Pendant le confinement, ma fille a réalisé une vidéo « La Claque » autour des violences faîtes aux femmes, qui faisait écho à ce livre.
  • Avant le confinement, sur le conseil de ma libraire, Isabelle de la Librairie Imagigraphe, rue Oberkampf, « Un autre Tambour » de William Melvin Kelly. Le récit étonnant d’un départ de tous les Noirs d’une petite ville imaginaire dans les années 60, fait par les Blancs qui restent dans cette ville. Le livre qui trouve une certaine résonnance dans le contexte actuel.
  • « Romanzo criminale » de Giancardo de Cataldo inspiré de l’histoire vraie d’une bande de criminels à Rome pendant les années de plomb. Il est construit comme une tragédie grecque avec une fin cynique et pessimiste.
  • « Les Fureurs invisibles du cœur » de John Boyne, une grande fresque dans une Irlande très catholique, d’une fille mère et de son fils qui va assumer son homosexualité. Un livre assez émouvant, un peu mélo-dramatique par moments.

Bien que de style et de point de vue différents, nous retrouvons dans ces quatre livres une dimension sociale et historique que j’apprécie beaucoup en littérature. Ils posent des interrogations sur la famille, les violences faites aux femmes, sur le poids des intégrismes religieux, les traditions ancestrales, la difficulté à être soi.

Comment Lire et faire lire a-t-elle été touchée pendant le confinement ?

Bien sûr, l’association a été touchée puisque sa vocation consiste à faire partager le plaisir de lire entre des seniors et des enfants, un échange intergénérationnel, en présentiel. Les structures d’accueil étaient fermées aussi les formations prévues, pour les nouveaux bénévoles, n’ont pas pu se dérouler. Nos relais locaux et nos coordinateurs étaient soit en télétravail soit en chômage partiel.

Il est essentiel de maintenir un lien physique intergénérationnel.

 Le défi a été relevé pour garder le lien avec les administrateurs, les coordinateurs départementaux, les bénévoles, les structures éducatives. Dès le début, j’ai demandé des réunions de bureaux en vidéo hebdomadaires. Des lectures ont été enregistrées en vidéo et transmises aux enseignants puis aux enfants. Beaucoup de lectures ont été filmées et postées sur Youtube, grâce aux droits cédés par les éditeurs et auteurs sur quelques textes pendant la durée du confinement,

Deux visions conférences ont été organisées, en direction des bénévoles et des coordinateurs,  l’une avec un auteur jeunesse l’auteur Thomas Scotto , l’autre sur la lutte contre les discriminations avec Agnès Saal, haut fonctionnaire à l’égalité et la diversité au ministère de la Culture. Une véritable réussite puisqu’elles ont réunis environ 250 participants.

Pour les mois à venir, il est prévu que les bénévoles proposent des lectures en plein air, dans le cadre des « Vacances apprenantes » et de l’opération « Sac de pages » dans des centres de loisirs…

Cet arrêt brutal coïncide malheureusement avec les 20 ans de l’association…

Fêter les 20 ans de Lire et Faire lire, c’était l’occasion de se réjouir de la réussite d’une idée un peu folle d’Alexandre Jardin, mise en œuvre par les départements, par la Ligue de l’enseignement et l’UNAF (Union nationale des Associations familiales) : plus de 20.000 bénévoles partagent leur passion de la lecture avec des enfants dans 12 000 structures d’accueil (écoles, crèches, bibliothèques, centre de loisir, collèges… )

Il était prévu 20 rencontres d’auteurs dans les départements. Une journée en juin devait se dérouler au Panthéon avec des lectures et une exposition photographique de Nicolas Henry « Un pays de lecteurs » sur le parvis. Cinq parrains de Lire et Faire Lire : Alexandre Jardin, Erik Orsenna, Jean-Marie Laclavetine, Leila Slimani, Delphine de Vigan et Daniel Pennac devaient y participer. Un très bel événement qu’il a été douloureux de reporter en juin 2021.

Dans cette disruption sociétale accélérée, quelle est votre proposition pour que le papier ait sa place dans le « capitalisme numérique » ?

Au cours de cette rupture brutale de nos habitudes, les nouvelles ressources utilisées sont des pistes à creuser.

Il ne faut pas s’opposer au numérique mais le rendre complémentaire de nos activités.

Pour Lire et Faire lire, ce lien autour d’un livre, entre un senior bienveillant et un petit groupe d’enfants afin de partager le plaisir de la lecture, reste essentiel.  Ce qui est important c’est la médiation, la relation, qui ne peuvent se faire qu’autour d’un livre. Nous ne sommes pas dans l’apprentissage de la lecture, comme les enseignants mais dans le plaisir de la lecture. Nous avons travaillé avec Sara Maraji, docteure en psychologie : ses études montrent que le numérique modifie la relation à la lecture. En effet, les pages n’existent plus, la lecture sur écran est plus discontinue, distractive. À l’inverse, la lecture sur papier fait travailler la patience, la persévérance. Et je fais mienne la phrase d’Erik Orsenna qui fait écho à ces propos : « la lenteur délicieuse de la lecture. »

Avec le lien intergénérationnel, remettons l’humain au cœur du numérique !

www.lireetfairelire.org

 


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