L’imprimé officialise  l’information électorale, pour l’historien Jean Garrigues.
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Société

L’imprimé officialise l’information électorale, pour l’historien Jean Garrigues.

28.02.2022
L’historien et président du Comité d’Histoire Parlementaire et Politique Jean Garrigues est un fin analyste de l’impact des images dans la vie politique française. Culture Papier l’a interrogé sur l’évolution de la propagande électorale et du vote électronique. Le directeur de la rédaction de Parlement(s), Revue d'histoire politique souligne l’importance de garder une dimension solennelle à la diffusion de l’information électorale comme au vote.  

Historiquement, à quand remontent les premiers tracts papier ?

Jean Garrigues

Les feuilles politiques fleurissaient sous la Révolution, contenant les points importants des cahiers de doléances, puis les programmes des révolutionnaires. La loi sur la Liberté de la presse en 1881 évoquait l’existence et l’orientation des tracts en rendant obligatoire notamment le nom de l’imprimeur. Le tract était donc déjà assez répandu. « Le Barodet » du nom du député Désiré Barodet (1823-1903) qui en est à l’origine répertorie depuis lors les pratiques électorales. Leur publication cours encore de nos jours*.

Les professions de foi sous format papier restent-elle indispensable à la démocratie ?

Aujourd’hui cela devient un vrai sujet alors que la société française est de plus en plus tournée vers le numérique et les réseaux sociaux. Mais nous voyons que l’information papier demeure. Elle satisfait l’esprit traditionnel d’une partie de la population. Les taux de participation s’élèvent avec l’âge et plusieurs générations de Français ont eu l’habitude d’avoir des supports papier. La profession de foi conserve cet avantage sur le numérique ; elle incite moins à l’instantanéité. Avoir chez soi une information papier – un tract ou un programme – permet d’y revenir.

Sur internet, nous avons tendance à zapper, à passer d‘une information à l’autre.

Le papier sécurise et stabilise l’information et lui donne un caractère plus officiel.

Il légitime le document en lui-même car il est sur un support dont on sait qu’il fonctionne depuis des décennies. Le papier reste associé à l’État, à cette légitimation du politique.

L’autre nécessité étant d’inciter à la lecture, à la réflexion et à la répétition de cette réflexion. Le papier permet une attention plus soutenue que sur la toile. Du fait de l’hégémonie croissante du numérique le fait de recevoir une invitation papier marque une exception. La rareté donne un prix à cette information. Il y a quelque chose qui fait sens.

Concernant le vote en lui-même, quelle est l’avenir du vote numérique ?

Il existe, là encore, cet effet de légitimation, d’officialisation du geste.

Toute une partie de la population y reste attaché. Il y a, à la fois, une volonté et une nécessité d’amener au vote des populations qui s’en sont détachés et notamment les jeunes.  Le vote numérique peut être une solution. Mais il restera, et pour encore plusieurs générations, les jeunes devenant des vieux, un attachement à cette solennité qu’apporte le vote papier à l’acte du vote.

L’acte du vote est un rituel solennel de la vie civique, de par sa nature même.

Un des derniers livres de Jean Garrigues

Nous sommes à la croisée des chemins aujourd’hui. En effet, la question se pose : Comment amener de nouveaux électeurs à voter en respectant cette solennité, cette tradition du vote auxquels beaucoup sont attachés ?

La société se fragmente et se communautarise de plus en plus. Il y a des votes de groupes et des comportements différents suivant les classes d’âges et les groupes sociaux. Certains vont être plus sensibles au fait de moderniser le vote et de l’inclure dans l’espace numérique, tandis que d’autres vont aller vers une solennisation par le vote.

Se posent notamment le problème de la sécurité et du secret du vote ?

Exactement. Cela fait partie de tous les questionnements suscités par le numérique. Mais il convient de rappeler aussi que les fraudes ont eu lieu et peuvent exister avec le vote papier.
À titre de comparaison, entre la France et en particulier les pays anglo-saxons, il demeure une suspicion par rapport aux votes électroniques et même envers le vote par correspondance. Il faut se rappeler qu’en 1848, lors de la première élection au suffrage universel masculin, les isoloirs n’existaient pas. Cela est lié dans l’inconscient collectif à l’attachement à cette tradition du rituel du vote dans l’isoloir, introduit seulement au début du XXe siècle.

Dernières parutions :

  • Charles de Gaulle. L’Homme providentiel dans un transat, Dunod, Collection « À la plage », 2020, 175 p.
  • Les Perdants magnifiques. de 1958 à nos jours, Tallandier, 2020, 285 p.

Propos recueillis le 22 novembre par Patricia de Figueiredo

 *La collection des recueil Barodet rassemble les programmes et engagements électoraux des candidats élus députés,  publiés par législature,  de 1882 à 2007, sous forme de rapports parlementaires jusqu’en 1936 et, à partir de 1939, de recueils édités par l’Assemblée nationale. Les volumes de 1882 à 1988, à l’exception 1898 est disponible en ligne en ligne.

 


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