L’imprimé ne réclame pas plus d’attention que nous lui en accordons, Filipe Vilas Boas artiste.
Accueil>Nos actions>Le Blog #Lepapieraufutur>L’imprimé ne réclame pas plus d’attention que nous lui en accordons, Filipe Vilas Boas artiste.
Culture #Portrait

L’imprimé ne réclame pas plus d’attention que nous lui en accordons, Filipe Vilas Boas artiste.

29.01.2021
[Spécial 2020-2030] Ni naïf ni soumis à l’utopie digitale, Filipe Vilas Boas alerte avec humour les accès et les excès du numérique dans nos vies. Fervent promoteur de la déconnexion, le performeur franco - portugais délivre même un diplôme certifié « de diète numérique », convaincu que « dans 10 ans, le papier s’affirmera comme un mètre étalon du l’interface low tech des siècles passés. »

Filipe Vilas-Boas Carrying The Cross, clin d’oeil au rituel addictif de Facebook © Filipe Vilas-Boas

Comme tout millénial – il est né en 1981 –  l’ancien designer a vécu la fascination numérique, cet « espace public bis » avant d’en constater les dérives addictives Ses performances artistiques interrogent les changements en cours dans la société et notamment sur les bouleversements amenés par le numérique : « en particulier ses accès — savoirs, information, images, parole — et ses excès — surveillance, marchandisation, automatisation ». Tout en précisant : « Ce n’est donc fondamentalement pas de technique pure dont il est question dans mon travail mais de sa relation et des rapports de force qu’elle met en jeu dans nos démocraties ». 

L’externalisation et l’automatisation de nos fonctions cognitives

Marqué son goût pour les sciences sociales et la philosophie, Filipe Vilas Boas s’’intéresse de près aux conséquences cognitives et sociétales de notre technicisation accélérée  : «  Car justement elle redouble depuis quelques temps : après deux siècles d’automatisation accélérée de nos fonctions mécaniques, nous dupliquons ce mouvement maintenant sur l’externalisation et l’automatisation de nos fonctions cognitives (algorithmes, intelligences artificielles, etc.). Un mouvement qui remonte aux origines de l’écriture et qui est associé à la mémoire et aux mythes de l’Humanité. Et il se trouve justement que nous sommes précisément en plein dans une étape transitoire où notre paysage se transforme sans vraiment que nous puissions en saisir ses mutations. A mon échelle, j’essaie d’en conceptualiser les questions, les problématiques, les chances aussi et de les partager sur la place publique.».

Filipe Vilas-Boas Sous les claviers la plage © Filipe Vilas-Boas

Avec le numérique, il n’y a pas de frontières entre politique et art citoyen.

Son œuvre, souvent participative et performative se joue de la porosité entre les mondes « IRéeL » et « URéeL ». Filipe Vilas Boas aime déconstruire et manie l’utopie et l’humour avec brio quand il aborde les peurs que l’intelligence artificielle engendre et les questions liées à l’automatisation. Ses créations combinent récupération, détournement et nouveaux médias ; logo de réseau matérialisé en croix, écrans d’ordinateurs transformés et interprétés, robot détourné, … tous les symboles de la numérisation du monde sont mis à contribution dans une œuvre très « dataïste », intervenant dans l’espace public, avec un aiguillon éthique et esthétique : interroger notre fascination quasi religieuse pour les réseaux.  

Le diplôme certifié « de diète numérique »

« Les grandes messes aujourd’hui sont effectivement technologiques. Insiste-t-il. Elles sont à la fois portées par la technique, ce qui permet à tout le village globalisé de s’y retrouver, et les rituels eux-mêmes sont des sacralisations des objets issus de cette technique. Et de fait, nous sommes tous priés de communier – comprendre aussi consommer – sans faim, ni fin, pour satisfaire l’appétit gargantuesque des grandes puissances technologiques. »

Pour sortir de cette addiction, son « Ministère des Internets » délivre des diplômes de Diète Numérique (Instagram, Twitter, Facebook, etc.) qui valorisent notre temps d’absence sur les réseaux. Pour mieux se libérer des dispositifs algorithmiques, le papier jouera le rôle de la valeur refuge de demain.

Filipe Vilas-Boas The Punishment, où le robot écrit 100 fois ‘je ne dois pas me prendre pour un humain » 2017. © Filipe Vilas-Boas

Qu’incarnera le papier et/ou l’imprimé dans 10 ans ? 

Il incarnera ce qu’il commence déjà à incarner chez beaucoup d’entre nous, fatigués que nous sommes par le rythme insoutenable des machines numériques. Les Temps Modernes de Charlie Chaplin sont encore et toujours éminemment d’actualité de ce point de vue-là, sauf que les rouages de la machine autrefois massifs et capables de broyer les corps s’est transformé aujourd’hui en un dispositif algorithmique complexe, caché derrière nos interfaces rétro-éclairées qui broie et s’accapare cette fois nos capacités cognitives et immobilise 90% de notre corps.

Filipe Vilas Boas In memory of privacy RIPLyon © DR 2

Le papier, lui, mobilise moins nos doigts, il est moins digital au sens premier et a l’avantage de ne pas avoir besoin d’énergie supplémentaire pour nous livrer l’information préalablement enregistrée ; le contraste avec l’encre noire vient de sa luminosité naturelle, biologique, physique. Et, peut-être plus important encore, il ne réclame pas plus d’attention que nous lui en accorderons. Point de notification intempestive qui vient surcharger cognitivement notre espace mental. Par exemple, un livre papier nous amène à lire un autre livre. L’autre livre attend patiemment son tour, il sait que son tour viendra — che va piano va sano. Il respecte la réalité de nos outils cognitifs humains, il ne cherche pas à nous attirer à lui par des subterfuges sonores, animés ou combinés. Point de pulsion « parasite »  ici ou alors en lisant, c’est notre cortex qui trouve une nouvelle connexion qui fait sens, équilibre un point ou le complète, perturbe un acquis, décale une vision, etc.

Dans 10 ans, le papier s’affirmera comme un mètre étalon du l’interface low tech des siècles passés. D’autres bio-matériaux, je l’espère, feront leur apparition et renouvelleront l’imprimé tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ils offriront des espaces alternatifs « off » à nos vies surconnectées, des moments simples, hautement technologiques mais dans un sens différent de celui que nous entendons et prônons encore trop largement aujourd’hui sans en anticiper les implications environnementales et sociales ; un progrès revu et rechargé au préalable d’un horizon désiré et acceptable par tous, non plus inconscient de sa potentielle finitude mais lové dans son unité cyclique.

Que dites-vous à un enfant sur la magie du papier ?
Tiens, voilà de quoi muscler tes pensées.

 

Pour suivre Filipe Vilas Boas : https://filipevilasboas.com
Filipe Vilas Boas compte parmi les 40 personnalités qui ont répondu à la question « Qu’incarnera le papier dans 10 ans ». Pour lire ou télécharger le magazine n°40 Spécial 2020-2030


Continuer la lecture