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L’imprimé est naturellement subversif, revendique Jean-Pierre Guéno, auteur de ‘Pub je te hais’

09.06.2020
L’imprimé est le fil conducteur de multiples vies bien remplies de Jean-Pierre Guéno : l'écrivain historien  vient de faire paraître un pamphlet « Pub je te hais, moi non plus » où il fait à contre-courant l’éloge de la publicité et du média courrier. Sans mâcher ses mots contre une société numérique du "tout à l'égo". 

Avec plus de 80 de livres à son actif, Jean-Pierre Guéno est actuellement directeur de la Valorisation de la Branche Services Courrier et Colis de la Poste, après avoir été directeur du développement culturel de la Bibliothèque Nationale, des Editions de Radio France, des Musées des Lettres et Manuscrits de Paris et de Bruxelles. 

Le papier/imprimé a-t-il – et comment – compté dans votre confinement ?

Le papier a beaucoup compté dans mon confinement parce qu’il m’a beaucoup manqué,  et sous toutes ses formes : papeteries fermées, j’ai été obligé de commander des ramettes de papier sur le Web pour alimenter mon imprimante, devenue l’argument vital de mon télétravail. Je n’avais plus accès à la presse papier dans la mesure où les kiosques étaient fermés. Je ne pouvais plus consommer que des livres virtuels sur ma liseuse, puisque les librairies étaient fermées. Je n’avais pas de masque en papier pour me protéger et pour protéger les autres. Les stocks de sopalin et de papier toilette avaient été dévalisés dans les boutiques.

 

Quel rôle peut-il tenir dans l’après Covid et participer à la reprise ? 

Le Covid a été un révélateur ; il a montré à quel point les solutions extrêmes et l’esprit de la rentabilisation aveugle à court terme, celle qui mise sur le bilan comptable en faisant l’impasse sur le bilan humain et social, mettaient leurs préconisateurs et leurs praticiens en état d’extrême dépendance : externalisation en Chine ou en Inde de la fabrication des médicaments et des masques, hypertrophie du tout virtuel au détriment du papier. Le papier va retrouver sa voie royale dans le domaine de la publicité. Il est le viatique de la presse papier et du marketing direct, beaucoup moins intrusifs et saturants que la publicité sur le Web, sur nos smartphones ou sur les écrans plats de nos télévisions.

Par le fait de sa seule matérialité, le papier est un antidote symbolique contre la société de la manipulation, du vide, de l’éphémère, de l’amnésie
et du néant qui triomphe dans le meilleur des mondes d’Huxley comme dans 1984 d’Orwell.

L’imprimé est naturellement subversif. Les résistants des armes de l’esprit, imprimeurs clandestins, porteurs de tracts et de presse clandestine sous l’occupation étaient punis de façon beaucoup plus cruelle par les nazis que ceux qui utilisaient des armes à feu.
Le papier, c’est en réalité la communication « bio » par oppositions aux « plats transformés », à la communication industrielle et panurgique des chaînes d’information et des réseaux dits sociaux.

 

Quel type d’innovations attendez-vous de l’écosystème du papier face aux nouveaux enjeux qui se profilent ?

Le papier a tous les arguments de la société répondant aux enjeux vitaux pour l’avenir de l’humanité et de la cohésion sociale. Il est écologiquement beaucoup plus satisfaisant et moins toxique, beaucoup moins énergivore, beaucoup moins polluant pour la planète que l’ensemble des maillons de la chaîne digitale.

Il n’est pas socialement ou démographiquement clivant comme le virtuel qui a prouvé pendant le confinement son incapacité à sauver les populations d’élèves défavorisés du décrochage scolaire, leur incapacité aux « télé-études » malgré leur maîtrise apparente du smartphone.

 

Le pamphlet de Jean-Pierre Guéno « Pub Je te hais » revendique un éloge de la publicité et du ‘média courrier’.

La fracture numérique est consubstantielle aux fractures sociales.  

On se gargarise avec la « transition digitale » en oubliant la « transition du papier ». On a enterré un peu vite le papier au profit du pixel, et l’on a eu tort d’opposer l’un à l’autre, alors qu’ils sont sur le point, après une phase de transition, d’entrer en synergie. De la même manière on a abusivement célébré le sacre et le triomphe de la « dématérialisation » alors même que nous assistions simultanément à celui de la matérialisation, de la sacralisation, de la sophistication de l’objet, à travers son design et sa technologie.

Aujourd’hui, l’objet hybride, c’est l’objet connecté. « Hybride » c’est le mot d’aujourd’hui et de demain ! La vraie transition, la plus importante, la plus englobante, semble avoir été oubliée : il s’agit de celle de l’hybride. Elle est la voie de salut de la société en général et de la Poste en particulier. Le courrier de l’avenir doit être à la fois papier et digital, en fonction des besoins de ses utilisateurs.

L’avenir est à l’hybride, au grand mariage du papier et du pixel.

 

Dans cette disruption sociétale accélérée, quelle est votre proposition pour que le papier ait sa place dans le ‘capitalisme numérique’ qui s’impose selon l’économiste Daniel Cohen ?  

La Covid nous incite à réviser la copie du capitalisme, victime des excès de l’ultra libéralisme et vecteur de barbarie. Il y a en effet longtemps que le capitalisme n’est plus couvert par des garants tangibles : stocks d’or, biens immobiliers, etc… mais par des capitaux virtuels, par des actifs financiers qui sont le plus souvent des bulles plus ou moins éphémères, et d’une valeur pour le moins aléatoire et très fragile, très sensible aux fluctuations de l’économie.

 

La transition vers un monde totalement dématérialisé, c’est l’ambition du capitalisme du XXIe siècle, qui se nourrit d’économies comptables et de bulles financières
mais qui fait l’impasse sur l’irrépressible, sur l’irrésistible hausse du coût social qu’il implique.

Mais ce capitalisme est déjà compromis et condamné. Car on ne dématérialise pas le facteur humain. On le pulvérise, on le néantise quand on le désincarne. Peut-être vaudrait-il mieux parler « d’Humanisme numérique », et d’une convergence, d’une synergie fructueuse entre le pixel et le papier plutôt que d’une hypertrophie du tout virtuel. La presse papier réintroduit par exemple la dimension du temps et du recul indispensable au traitement de l’information. Il faut laisser à l’encre le temps de sécher. Le papier réintroduit la trace pérenne dans la communication ne résumant pas nos archives à la fragilité, à la vulnérabilité des clouds.

Le moyen de communication le plus sûr et le plus écologique est aujourd’hui le courrier papier.

Le courrier virtuel en est un complément devenu indispensable mais terriblement fragile parce que très facilement piratable et au stockage très aléatoire en fonction de l’effacement indéterminé des supports digitaux et de leur disqualification due à l’évolution des matériels de lecture qui ménagent de moins en moins souvent une compatibilité ascendante.


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