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L’Etoffe de l’Europe® resserre les liens entre Européens avec du papier

19.04.2022
Alors que la France a pris la présidence de l’Union européenne début janvier, une impressionnante réalisation est installée dans les deux bâtiments du Conseil l’UE à Bruxelles. L’Etoffe de l’Europe® a été imaginée par les designers Jérôme Liniger et Nicolas Jacquette, et les architectes scénographes Adeline Rispal et Marc Hivernat, et imprimée sur les papiers ultra-techniques des Procédés Chenel. Les créatifs de l’agence Si I Studio Irrésistible nous dévoilent les enjeux de ce tissage aussi symbolique qu’artistique.

Pourquoi un aménagement scénographique et artistique pour les bâtiments du siège du Conseil de l’Union européenne ?

Jérôme Liniger et Nicolas Jacquette devant le tissage numérique © Fabrice Aygalenc

 Nicolas Jacquette : Traditionnellement à chaque présidence tournante de l’Union européenne, le pays qui prend la présidence investit le bâtiment réservé aux chefs d’États et de gouvernements des 27 pays de l’Union Européenne pour négocier les traités et les grandes orientations. Celui qui devient président oriente plus fortement les grandes directions de la communauté européenne avec un cercle d’alliance sur des grands sujets. A cette occasion, les espaces peuvent être aménagés aux couleurs du pays en charge. La France a décidé de mettre des moyens pour renforcer la visibilité de cette présidence. Elle a lancé un appel d’offres européen pour créer ces installations.

Comment avez-vous répondu à l’appel d’offre européen ?

Jérôme Liniger : Avec une notion philosophique assez forte, celle de voyager vers l’autre. À l’origine le projet demandé était de mettre en image les trois mots clés de la présidence française : Relance, Puissance et Appartenance. Il s’agissait de représenter visuellement cette volonté de la France de relancer la dynamique fédératrice de l’Union européenne. C’est pour cela que nous avons créé (avec les Ateliers Adeline Rispal) ce concept de tissage, de mixage, de métissage, de toutes les couleurs des drapeaux qui constituent l’UE, c’est aussi une façon d’illustrer l’union dans la diversité, la puissance dans la différence. Il s’agissait de faire œuvre commune à l’époque où, avant l’Ukraine, des velléités d’indépendance se manifestaient, où le Royaume-Uni était parti. L’Europe se posait des questions sur son unité. Ensemble, nous avons mis au cœur de notre concept une ode à la complexité. Pour nous la simplification n’est pas compatible avec un projet aussi ambitieux que l’Europe et le vivre ensemble.

Tisser la culture de l’autre, prendre le ruban de l’autre et le tisser avec le sien. Le tissage c’est aussi l’éloge du labeur et de la lenteur.

Nicolas Jacquette a passé plus de 350 heures à tisser numériquement ce projet. © Fabrice Aygalenc

 

https://youtu.be/9CTUYGmsyyU

Et vous l’avez remporté avec les Ateliers Adeline Rispal. Comment avez-vous travaillé ensemble ?

JL: En 2021, l’agence SI a travaillé pour le cabinet d’architectes et scénographes Ateliers Adeline Rispal pour refondre leur communication visuelle. C’est pendant cette collaboration qu’Adeline Rispal nous a proposé de les accompagner sur l’appel d’offres de la présidence française de l’Union européenne. Nous avions la charge du design graphique. Adeline, qui voulait mettre le tissage au cœur de son projet, a contacté un artiste textile, Jeanne Goutelle. Nous avons été sélectionnés parmi les trois groupes finalistes et signé le projet à quatre : Adeline Rispal, Marc Hivernat, Jérôme Liniger, Nicolas Jacquette.

NJ:  Soulignons que notre collectif a un rapport à l’Europe puissant ; Adeline Rispal est d’origine catalane, Jérôme est suisse adopté par la France. Personnellement, je fus élevé dans un mouvement sectaire qui m’interdisait de m’impliquer en politique et d’être un citoyen. Aujourd’hui, je me retrouve à travailler avec le gouvernement au cœur du projet européen, notre étoffe est aussi une belle victoire sur l’histoire et la citoyenneté.

Qu’avez-vous eu à réaliser ?

NJ : Avec L’Etoffe de l’Europe®, nous avons proposé un tissage des couleurs des 27 pays de l’Union européenne, décliné notamment dans deux grandes installations : l’une de 650 m2, incarnant les ailes de l’Europe et une data visualisation représentant la construction européenne de 16 mètres sur 3.

Le projet intégrait aussi une contrainte forte d’un démontage périodique de l’œuvre. En effet l’atrium du au cœur du bâtiment « Justus Lipsius » se transformer en salle de presse, près de six fois durant les six mois de la Présidence.

Le tissage sur papier Procédés Chenel © © Fabrice Aygalenc

Notre collaboration est devenue totalement conjointe avec la signature concept L’Etoffe de l’Europe®, devenue une marque déposée. Nous avons aussi intégré d’autres créations dans 7 espaces dans les deux bâtiments, notamment une œuvre vidéo monumentale de Jacques Perconte en forme d’exploration des paysages européens traité en véritable impressionnisme numérique.

Comment est réalisé L’Etoffe de l’Europe® qui associe trois tissages, numérique, papier et tissu ?

JL : A l’origine du projet, il y a ce data tissage numérique – de 37 couleurs – pierre angulaire des installations. Cette œuvre représente, sur 16 mètres de long l’histoire de l’Union européenne. La chaîne de ce tissage monumental relate l’entrée de chaque pays dans l’UE ; avec en son centre, les couleurs des 6 pays fondateurs de 1956. la trame, elle, montre la succession des  présidences des pays qui se succèdent tous les 6 mois depuis 65 ans,

Étoffer quelque chose c’est le rendre vivant

À ce tissage numérique, s’ajoute 650 mètres carrées d’un gigantesque tissage imprimé sur un papier non tissé fabriqué par les Procédés Chenel, qui constituent deux immenses « ailes » dans l’atrium. Des structures de métal supportent le papier pour donner cette sensation de voiles qui ne touchent pas le sol. C’est un geste fort. Le graphisme se répète de laize en laize comme les rubans de l’Europe. L’identité de chaque pays, incarné par leurs couleurs, se rencontre et s’entremêle pour créer une étoffe commune.

Des variations de ce motif se découvrent jusque dans les ascenseurs et les bureaux de la présidence © Fabrice Aygalenc

Avez-vous rencontré des difficultés d’ordre politique ?

JL : Avant tout, il faut souligner le soutien sans faille du secrétariat général de la PFUE, et en particulier celui de l’Ambassadeur Xavier Lapeyre de Cabanes et de Monsieur Yohan Le Tallec. Avec leur complicité, nous avons relevé un véritable défi diplomatique ! Travailler avec les couleurs nationales de 27 pays est extrêmement sensible. Nicolas comme designer graphique des couleurs de cette ‘étoffe’ a été au cœur des négociations. Il nous a fallu 9 mois de travail et d’échanges diplomatiques pour faire valider notre interprétation graphique en bandeau des couleurs nationales de chaque pays.

À titre d’exemple, Chypre n’avait pas de bandeau et ils ont validé avec enthousiasme notre création. D’autre part pour garder l’effet de surprise, l’Élysée a tenu le projet secret jusqu’à l’inauguration officielle, le 10 janvier.

Que vont devenir tous ces éléments une fois la présidence passée ?

 NJ : Dès le départ, nous avons souhaité avoir une pérennisation des éléments fabriqués. Bien entendu, si nous avons déposé la marque L’Etoffe de l’Europe® car c’est une création artistique, nous souhaitons la promouvoir. Des négociations ont lieu avec des sociétés françaises pour la création de soieries, d’épingles, de sacs. Un fabricant de parapluies français Piganiol – Entreprise du Patrimoine Vivant – produit des parapluies au motif de l’Étoffe. À noter que, sur chaque parapluie acheté, nous reverserons, Adeline Rispal, Marc Hivernat et nous-même, l’intégralité des droits de marque à la Croix Rouge pour soutenir le peuple ukrainien.

https://www.piganiol.fr/fr/collaborations/823-l-etoffe-de-l-europe.html

Enfin, tout a été écoconçu pour être recyclable, c’est notre façon de penser nos projets et c’était une exigence du concours. Le papier fabriqué par les Procédés Chenel fait partie d’une filière de revalorisation et va être donné à des artistes pour faire du mobilier et des œuvres d’art. Nous avons utilisé des technologies led novatrices pour l’œuvre de Jacques Perconte ;  Nous sommes en relation avec une filière d’upcycling à Paris pour réutiliser le projet dans des créations textiles et mode éco-responsable. Nous avons choisi une entreprise belge pour la réalisation et le montage du projet, aussi pour des raisons de circuits courts et de réduction des émissions carbone. Les œuvres de Jeanne Goutel sont faîtes avec des rebus de l’industrie textile. Et nous travaillons pour que la grande data soit  installée dans son intégralité dans une institution nationale :  À suivre !

Retrouvez les projets portés par Nicolas Jacquette et Jérôme Liniger sur le site internet de leur agence : www.agence.si, ainsi que sur www.cartooningglobalforum.org, et leur dernier projet de commissariat sur www.centretignousdartcontemporain.fr

Propos recueillis par Patricia de Figueiredo le 14 avril.

 


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