Les idées valent plus que les données, pour Philippe Beauvillard, président du Syndicat de la Presse Culturelle et Scientifique
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Les idées valent plus que les données, pour Philippe Beauvillard, président du Syndicat de la Presse Culturelle et Scientifique

01.10.2020
Philippe Beauvillard, Président du SPCS, à l'occasion de la conférence Culture Papier du 29 septembre 2020, a élargi sa perspective au-delà des préoccupations spécifiques des éditeurs de presse culturelle et scientifique pour rappeler trois aspects irréductibles de l'imprimé : support physique, vecteur économique et symbolique, et vecteur intellectuel, essentiel pour le débat d'idées. 

Philippe Beauvillard, Président du SPCS, lors du colloque annuel 2019 © DR

En l’absence de Laurent Bernard-Quélin, Président de la FNPS empêché au dernier moment, je veux élargir ma perspective au-delà des préoccupations spécifiques des éditeurs de presse culturelle et scientifique pour prendre en compte celles de l’ensemble des éditeurs de la presse professionnelle et spécialisée.
Mais aussi parce que je constate qu’Eric Mugnier, associé EY ouvre son étude « L’empreinte socio économique de l’écosysteme du papier graphique en France«  en rappelant que « depuis des siècles, le papier graphique est le moyen essentiel de transcrire des savoirs qui permettent à nos sociétés de se construire ».

J’évoquerai donc, de façon consciemment déséquilibrée, trois aspects de l’imprimé :

Le papier comme support physique

Je n’évoquerai pas ici les qualités sensorielles, sensuelles et esthétiques du papier : je ne sais si l’attachement que nombre d’entre nous lui portons à cet égard sont un gage suffisant de sa pérennité et si nos preuves d’amour seront collectivement à la hauteur de nos déclarations pour assurer cette pérennité.

Je veux simplement, pour mémoire, rappeler quelques thèmes que Culture Papier traite avec constance et persuasion et que nombre d’intervenants dans les colonnes de son magazine ou dans ses rencontres et colloques le font avec plus de compétence que moi :

  • Non l’usage du papier n’est pas, et particulièrement pas au regard des pratiques numériques, à montrer du doigt du point de vue des objectifs environnementaux ;
  • Non la production papetière ne contribue pas à la déforestation et est au contraire de nature à s’intégrer dans une gestion forestière durable ;
  • Oui le recyclage ne peut perdurer indéfiniment sans un apport de fibre nouvelles qui contribue lui-même au nombre de réutilisation des papiers existants.

L’imprimé, vecteur économique et symbolique

  • Le rapport présenté insiste sur l’effet d’écosystème et les externalités de l’imprimé publicitaire notamment. À cet égard est bien mis en évidence le rôle de l’imprimé publicitaire pour la survie d’unités de production qui impriment d’autres catégories d’imprimés. Mais je veux aussi revenir sur l’effet de synergie vers d’autres secteurs, à l’heure où la pérennité et la qualité de la distribution de la presse en zone peu dense et notamment rurale suscite une réelle inquiétude.
  • La performance symbolique de l’imprimé porte des effets économiques, c’est la relation particulière qu’un titre, une publication entretient au lecteur. L’imprimé installe une relation affective et identitaire – et qu’il est difficile d’établir à même niveau par la mise à disposition du support numérique. Ce n’est évidemment pas indifférent en termes de fidélisation et de pérennité économique et sans doute, de ce point de vue, serait-il hasardeux de considérer que les formules bi-media ne sont qu’une étape de transition vers un basculement numérique intégral de tous types de presse ou de publications.
  • Troisième aspect, de même nature que le précédent : la relation particulière à l’annonceur qu’apporte l’imprimé et qui se traduit dans le déséquilibre persistant, même si la situation évolue, entre les rendements publicitaires du même lectorat sur support imprimé ou numérique.

L’imprimé, vecteur intellectuel

Au sein du syndicat que je représente, l’édition scientifique peut être considérée comme souvent « en pointe » du basculement vers le numérique. De nombreuses formules de diffusion numériques font éclater la notion même de publication de presse scientifique. Sans doute le numérique constitue-t-il un outil particulièrement bien adapté à la diffusion des résultats de la recherche scientifique et des « données de la recherche » elles-mêmes. Encore faut-il relever que ce mode de diffusion d’éradique pas la notion de revue scientifique, qui par son organisation éditoriale demeure un irremplaçable mode de validation et donc un gage de crédibilité.

Il reste à mes yeux que dans le champ de la production intellectuelle, le texte imprimé conserve des atouts irréductibles, dont je veux citer trois aspects.

  • En premier lieu, l’imprimé prend l’avantage au regard du critère de ce qu’on pourrait appeler une « physiologie de l’attention ». Des études approfondies nous renseignent aujourd’hui sur les modalités et les fragilités de la lecture sur écran, qui affectent la qualité de lecture et de compréhension des textes. Les recommandations et pratiques éducatives tempèrent déjà l’enthousiasme initial qu’avait inspiré la disposition des outils numériques à des fins pédagogiques. La demande des lecteurs eux-mêmes reconnaît l’imprimé comme support de travail irremplaçable : un de mes confrères ancien président du SPEPS cite souvent le retour en arrière qu’il a dû opérer, sous la pression de jeunes étudiants, lorsqu’avait été tenté le passage en tout numérique d’un titre utilisé pour la préparation des concours.
  • En second lieu, l’imprimé reste le support le plus durable, il est donc celui de la conservation et de la transmission. Je souligne au passage que la presse professionnelle est une forme de presse à forte dimension servicielle, voire documentaire, c’est une presse que l’on conserve, ce qui induit des approches cousines avec les problématiques du livre et ce n’est pas un hasard si la FNPS se trouve fréquemment porter des préoccupations communes avec le SNE.
  • Troisième volet enfin, le texte imprimé est le support privilégié du débat d’idée. Je ne sais si l’annonce récente de la fin de publication de la revue qui porte ce même nom – Le Débat – produira une forme d’électrochoc en faveur des grandes revues intellectuelles généralistes, qui sont par ailleurs une forme de spécificité française. En tout cas, cette annonce a fait apparaître le vide que crée une telle disparition dans le champ du débat public.

À travers la défense et illustration de l’imprimé, il ne s’agit pas de mener un combat d’arrière-garde face à la progression de supports et outils numériques dont il ne s’agirait que de retarder l’irrésistible hégémonie. Si le numérique progresse de façon aussi soutenue, c’est qu’il y a de bonnes raisons et de bons usages pour lesquels l’imprimé n’a pas démontré sa supériorité. C’est pourquoi l’ensemble des éditeurs de presse s’emploie énergiquement à remodeler leur offre en fonction de ces usages et moyens nouveaux. Et ils s’y emploient d’ailleurs avec une conviction et un engagement, d’autant plus méritoires qu’ils se confrontent au retard de la transformation des modèles économiques sur celle des modèles d’usage.

Non, l’enjeu n’est pas celui de manœuvres de retardement. Il y a aussi de mauvais usages du numérique, des objectifs pour lesquels l’imprimé et la lecture sur imprimé semblent devoir conserver des atouts décisifs qui ne sont pas que de praticité, mais de société, de culture et de civilisation, et qu’ils doivent être défendus et promus à ce titre.

Pour ceux qui considèrent qu’au bout du compte les idées valent plus que les données, et la doxa plus que la data – ou a minima que les secondes doivent être mobilisées au service des premières – alors l’imprimé gardera sa part, réduite sans doute au regard des décennies passées, mais précieuse et irréductible.

Intervention lors de la conférence Culture Papier du 29 septembre 2020 – voir le replay 

 


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