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Culture #Interview

« Le livre doit être soutenu », pour l’auteure Isabelle Minière.

29.06.2020
La romancière Isabelle Minière a décroché le prix Hors Concours des lycéens avec « Je suis né laid » chez Serge Safran éditeur. Un roman qui parle de différence et de tolérance. L'expérience du Covid a aiguisé ses envies de lien, nous rappelant que nous sommes des animaux sociaux.

Comment le papier a-t-il compté dans votre confinement ? Avez-vous pu lire ? écrire ?

Le papier compte beaucoup pour moi ; le toucher, le sentir. C’est sensuel, le papier. Je possède de très jolis carnets que je n’ose pas utiliser, de peur de les abîmer.
J’ai lu, un peu. Beaucoup moins que ce que j’aurais voulu. Enfin j’avais du temps… mais pas l’état d’esprit pour le faire. Je me suis maudite plus d’une fois. L’épidémie, le confinement…  m’ont plongée, comme beaucoup de gens, dans un état de sidération. La peur pour mes proches, mes moins proches, le monde – et pour moi aussi. Enfin du temps… et voilà que je ne sais pas en profiter. Rien que le mot « profiter », me faisait froid dans le dos ; des gens souffraient, des gens mourraient, des gens perdaient leurs proches, et moi j’allais « en profiter » ?

©Raphaël-Gaillarde

J’ai gribouillé, je préfère dire ça, c’est moins impressionnant que de dire « j’ai écrit » chaque jour du confinement, une sorte de journal de bord, plutôt que
journal de confinement. J’ai écrit ce que je voyais, dans mon quartier, pendant mes sorties avec « attestation dérogatoire », (rien que de l’écrire, ça donne
envie de rire, tellement ces mots sont bizarres) ce que je ressentais, les gens, les  sentiments… J’ai eu envie de laisser une trace de ce qui se passait là. Même si ça ne sert à rien –  je n’ai pas pensé à une publication de ces traces. Cela me servait, à moi, pour traverser « ça ». C’était écrire, garder ce lien avec l’écriture. Chaque soir j’ai écrit. Dans la journée, je retenais en pensée ce que je raconterais le soir. La misère, la pauvreté m’ont bouleversée. Les gens, leur façon de réagir à cette situation, l’importance du téléphone dans ces moments-là,…
J’ai sans doute écrit beaucoup de banalités, mais c’était les miennes.
Je n’ai pas fait tout ce que j’aurais pu faire, y compris les rangements, les nettoyages (j’en ai fait si peu par rapport à la liste !), je me suis débrouillée comme je pouvais.

 

Les auteurs ont été durement frappés par la fermeture des librairies, pensez-vous que les mesures prises à leur égard et pour la lecture sont-elles suffisantes ?

Les librairies et les éditeurs ont été terriblement touchés. Certains auront du mal à survivre. Les auteurs dépendent de toute cette chaîne : éditeurs, libraires… Cela va être dur de publier dans les temps qui viennent. C’est triste mais il faut garder espoir.
Quant aux mesures prises, je ne me sens pas compétente pour y répondre. Une aide massive est nécessaire pour que les éditeurs et libraires s’en sortent. On soutient l’industrie automobile… Le livre est-il moins important que la voiture ? L’aviation ?

Pendant cette période de confinement nous avons sur-consommé du numérique, quel rôle le papier pourrait avoir dans la reprise ?

Le plaisir de revenir au papier. Sur un livre, je souligne, je colle des post-it. Sur l’ordinateur, le rapport n’est pas le même. Le numérique déshumanise, il est une illusion de lien, une illusion d’humain. Nous sommes des animaux sociaux. Je préfère aller à la librairie, échanger avec un libraire qui défend ses livres que de commander par un internet.
Sans oublier cette fameuse « fracture numérique », qui creuse plus encore les inégalités : La connexion, l’habilité pour savoir l’utiliser…
Avec un livre, il faut juste savoir lire.

Vous êtes lauréate du Prix Hors Concours des lycéens 2019-2020, pour « Je suis né laid », comment l’idée de cette histoire vous est-elle venue ? Que vous inspire cette distinction ?

Ce sujet traîne dans ma tête depuis longtemps : L’importance de l’apparence physique. Mes études et mes lectures m’ont influencée. Et mon vécu personnel, des choses que j’ai observées.
Je suis passionnée par la psychologie sociale et j’ai beaucoup lu à ce sujet.
Je suis très frappée du fait que l’on accorde plus de qualités (humaines et intellectuelles) à quelqu’un que l’on trouve beau qu’à quelqu’un que l’on trouve moche ou moyen. C’est une injustice terrible. Comme si l’âme était sur le visage. Notre raison nous dit que c’est faux, notre imaginaire, nos préjugés, ou je ne sais quoi d’autre inscrit dans notre cerveau, nous racontent le contraire. Arthur, le personnage du livre, est affublé d’un visage qui ne lui ressemble pas. Son visage donne l’impression qu’il est une personne laide. C’est tellement faux ! C’est une belle personne, Arthur.
Ce Prix Hors Concours me fait très plaisir d’autant plus que c’est un prix de lecteurs, de lycéens qui ne sont pas influencés par les courants littéraires, les maisons d’édition. Je pense que le fait qu’une partie du roman évoque les tourments de l’adolescence d’Arthur, cette difficulté à « être bien dans son corps », a pu les toucher.
J’ai une pensée chaleureuse pour mon éditeur qui m’a fait confiance sur un thème délicat. Une grande gratitude pour les organisateurs du prix Hors Concours, les enseignants et documentalistes. Je les sais dévoués, très attentifs.
J’ai regretté de ne pouvoir rencontrer les lycéens, à cause du confinement. Mais lire leurs retours par l’Internet m’a beaucoup intéressée. J’ai été émue en les lisant.
Sans l’écriture, c’est quoi, un personnage ? C’est quoi, une histoire ? C’est quoi, un livre ?

Merci à eux ! Je leur souhaite de bien belles choses.

 

Je suis né laid, éditions Serge Safran

Propos reçus le 22 juin 2020


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