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Le confinement a aussi permis de nous déconnecter, pour Florence Provendier, députée des Hauts-de-Seine

22.04.2020
Florence Provendier, députée des Hauts-de-Seine est membre de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation. Dans le cadre de la Mission Covid de l’Assemblée nationale, elle nous présente les missions du groupe de travail sur les médias et les industries culturelles qu’elle co-anime.

Comment abordez-vous votre mission de co-animation de ce groupe dédié aux médias et industries culturelles ?

Ce groupe de 15 députés que je co-anime avec la députée Elsa Faucillon rapporte au président de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, Bruno Studer. Son but est d’alimenter la réflexion sur les conséquences de la crise du Covid sur les acteurs culturels et les médias, sur les mesures à prendre maintenant et après le confinement. D’autres groupes couvrent les autres aspects de la vie culturelle, de l’éducation, de la recherche, l’enseignement supérieur, du sport et de la vie associative.
Dans ma circonscription à Issy-les-Moulineaux, Vanves et Boulogne résident de nombreuses entreprises culturelles et audiovisuelles, je me suis donc naturellement intéressée à ces problématiques dès le début de mon mandat.
Lors de l’examen en première lecture en mars dernier du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, j’ai été nommée responsable du texte pour LREM. Aussi quand le président Studer a proposé que des groupes travaillent au sein de notre commission sur ce sujet dans le cadre de la mission Covid, je me suis proposée pour co-animer ce groupe.
Depuis deux semaines, j’ai entamé des réunions téléphoniques avec les acteurs des filières des médias (télévisions, radios, presse écrite), mais également du livre, du cinéma et de la musique afin de partager avec mes collègues parlementaires leurs problématiques spécifiques et d’être pourvoyeur de solutions.

 

Pouvez-vous nous prendre un exemple des difficultés qui vous sont remontées du terrain ?

J’ai été interpellée, comme plusieurs de mes collègues sur la précarité des pigistes non-salariés, sur leur statut fragile. J’ai adressé une question écrite au ministre, qui également alerté sur cette problématique par les professionnels a promulgué un décret qui permet à tous les pigistes d’avoir le droit au chômage partiel. Il en va aussi de notre souveraineté par rapport à la qualité de l’information qu’ils fournissent.

 

Quel est l’agenda de cette mission de réflexion ?

Nous nous sommes donnés dans un premier temps jusqu’au 11 mai pour faire un état des lieux des besoins du secteur. Après la date du déconfinement, elle n’aura plus les mêmes modalités de fonctionnement, ni les mêmes objectifs.
Il s’agit d’abord d’alimenter la réflexion, tant au niveau de la commission des Affaires culturelles, qu’au niveau du président Bruno Studer qui siège au sein de la commission Covid.
Nous avons des points de convergence entre plusieurs groupes de travail, comme celui ‘Culture’ animé par Aurore Bergé et Constance Le Grip notamment par des auditions communes avec le SNL, la SACEM, pour pour bien prendre en compte l’ensemble des problématiques de la chaine de valeur, de l’auteur, au compositeur, sans oublier les producteurs, éditeurs et diffuseurs.
Lors de notre première réunion de groupe, tous mes collègues députés ont salué l’excellence du travail de l’audiovisuel public, des radios privées, ainsi que toutes les initiatives prises par un secteur extrêmement mobilisé pour continuer à garder une qualité de contenu malgré les multiples contraintes engendrées par la crise.

 

De nombreuses mesures ont été prises par le gouvernement en direction des PME-TPE qui s’appliquent aussi à la culture, d’autres mesures plus spécifiques sont-elles prévues ?

La crise impacte fortement le secteur culturel et notre travail consiste à veiller à ce que tous les acteurs en ressortent vivant et à tenter de limiter la durée de l’impact. Le Gouvernement travaille à plusieurs pistes spécifiques pour la culture notamment par le biais de ses opérateurs que sont le CNC, le CNM ou le CNL qui sont en première ligne. L’accompagnement des auteurs est une priorité car ils sont au fondement de la création, c’est pour cela que le fond de solidarité du gouvernement leur est ouvert. Aussi, le gouvernement par l’intermédiaire du CNL a ouvert un fond supplémentaire 5 millions d’euros pour la filière du livre.

Une attention particulière doit être portée à nos 3 300 librairies qui font vivre partout sur le territoire la passion du livre et de l’écriture. Elles seront particulièrement fragilisées par cette période de fermeture. Nous travaillons à un accompagnement pour ces commerces pour que la réouverture ne donne pas lieu à une accumulation de charges que la faible relance ne pourra pas compenser.

 

Nous assistons à l’explosion d’une consommation culturelle numérique pendant ce confinement. Comment redonner sa place à l’imprimé après cette période ?

J’ai des convictions qui ne sont pas forcément représentatives. Personnellement, je n’ai jamais pu lire sur tablette et pendant ces quelques semaines, j’ai ressorti certains livres politiques et parmi les lectures plaisir, je me suis replongée dans Jean-Paul Sartre.

Le futur ne se prévoit pas, il se prépare. Nous n’avons pas renoncé à l’imprimé, notamment dans l’éducation : tous les enfants ne sont pas équipés d’ordinateurs et les supports papiers, livres et cahiers ont encore toute leur place.

Le confinement n’a pas tué notre rapport aux livres, bien au contraire. Nous serons heureux d’avoir accès à de nouveaux ouvrages, une fois déconfinés et les librairies ouvertes.

Certes les librairies sont fermées – nous pouvons en trouver chez les marchands de journaux ou bien en vente à distance chez les libraires qui ont organisé ce service – même s’il n’y a plus d’inédits, ni de capacité à renouveler le fonds. Mais a priori, un certain nombre de nos concitoyens se sont replongés dans leur bibliothèque. Le confinement nous a aussi permis de déconnecter à certains moments.

 

Concernant la presse qui a vu également une explosion des consultations numériques, les habitudes prises ne risquent-t-elles pas de perdurer ?

Il y a un attachement des Français aux journaux papier malgré un recul depuis quelques années, je ne pense pas que les habitudes changeront complétement. Les lecteurs et les journaux se sont adaptés au confinement en témoigne la digitalisation inédite du Canard Enchaîné qu’on imagine mal abandonner le papier. Nous avons la chance de bénéficier d’un vaste réseau de marchands et de kiosques de presse partout sur le territoire qui sont encore ouvert et qui résistent. Il est vrai que le secteur est fragile notamment les titres de presses régionales qui connaissent des difficultés économiques. En effet, avec l’effondrement des ressources publicitaires dont dépendent entre 50 à 70% des chiffres d’affaires des journaux, la précarité de la PQR risque de s’accentuer. Le retour des annonceurs comme le soutien à la messagerie Presstalis seront deux points essentiels.

Les modes de consommation vont certainement évoluer, se réinventer quelle que soit notre activité.

Après une crise, la vie ne reprend pas exactement comme avant. Les difficultés à recevoir par La Poste les numéros ont poussé nombre de personnes abonnées à un support papier à passer vers l’offre numérique. Il est difficile de prévoir le nombre d’abonnés qui resteront sur le numérique, il y a risque pour le papier.

 

Quel type d’innovations espérez-vous ?

Le papier peut faire son retour avec les emballages,.
Les précautions sanitaires à prendre vont continuer pendant un certain temps ; les emballages plastiques notamment à usage unique ont repris des parts de marché. Le papier doit pouvoir offrir des alternatives responsables car on va privilégier le jetable quel que soit le support.

 

Il est beaucoup question de relocalisation notamment des biens stratégiques et de première nécessité, celle des imprimeurs de livres ou de magazines produits hors de nos frontières peut-elle s’imposer de façon pérenne ?

Nous allons être obligés de tout reconsidérer. Nous sommes actuellement dans la gestion de crise et pas encore dans « l’après », d’où la nécessité des auditions que nous sommes en train de réaliser pour prendre en compte ces enjeux et pouvoir être en veille à la Commission des Affaires culturelles des décisions qui pourraient être prises par d’autres instances.

Notre souveraineté passe par notre capacité à défendre ce qui promeut et produit la culture, le livre y contribue.
Et en matière numérique, nous aurions également intérêt à être autonome dans nos modes de production au niveau européen.

 

Quelle place l’imprimé doit-il avoir dans le « capitalisme numérique » ?

Pour vous répondre, je vais faire un parallèle avec un autre support qu’est la télévision. Il était envisagé de fermer la chaîne France 4 au profit d’offre numérique. Or, il existe une vraie fracture numérique dans notre pays et cette crise nous l’a bien montré. Il y a des zones blanches où certains de nos concitoyens n’ont pas accès à la même information.

Cette crise a mis en lumière les services essentiels rendus par la télévision qui permet de contacter l’ensemble de la population.

Or France 4 a démontré son utilité avec des émissions ciblées pour les enfants, accessibles à tous. Consommer de la télévision est différent que consommer en streaming sur son ordinateur tant au niveau de l’attention qu’au niveau de la consommation énergétique.
Pour l’imprimé, c’est identique, ce n’est pas « tout l’un ou tout l’autre », nous avons besoin des deux. Le numérique fait ce qu’on lui demande de faire et à nous de raison garder pour trouver le juste équilibre entre les avancées et contenus que le numérique permet et, en même temps, de rester conscient de ce que le papier nous apporte sous toutes ses formes.

 

Ne faut-il pas rappeler également le coût élevé de la numérisation en matière de C02 ?

Je suis déjà une convaincue que le dématérialisé nous coûte cher en empreinte carbone ! Sur-consommer du contenu en ligne n’est pas plus vertueux que de consommer du papier. Je n’ai pas l’équation idoine mais il faut un juste équilibre.
Une application qui permettrait de tester son empreinte carbone en fonction de nos utilisations numériques (à l’instar de celles qui comptent nos heures au téléphone ou nos nombres de pas) serait utile.
Il nous faut prendre conscience que le papier – ressource naturelle renouvelable – se recycle jusqu’à 7 fois. Par rapport à son utilisation, nous ne créons pas plus de déchets en achetant du papier. Il faut alerter nos concitoyens sur le fait que le cloud est très polluant. Son empreinte carbone est élevée.
Nous apprenons de cette crise à reconsidérer et à revenir à des équilibres qui étaient en train de se détériorer au détriment de nos ressources.

 

Propos recueillis le 22 avril par Patricia de Figueirédo


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