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La sobriété numérique me paraît très compromise. À la fin, ce sont toujours les GAFAM qui gagnent. pour Arnaud Le Guern, éditeur.

19.11.2020
Éditeur aux éditions du Rocher, Arnaud Le Guern est également écrivain. Il a publié des flâneries biographiques sur des personnalités flamboyantes du 7e art - Paul Gégauff, Roger Vadim - et des romans, parmi lesquels : Adieu aux espadrilles, en 2015, et Une jeunesse en fuite, en 2019. L'auteur porte un regard acéré sur les changements actuels qui affectent l’écosystème du livre.

La bataille autour de l’ouverture des librairies pose le problème de la place de la culture dans notre société et notamment celle des livres. Sont-ils vraiment des « biens essentiels » ?

Arnaud Le Guern, éditeur aux éditions du Rocher et écrivain ® DR

Ce singulier virus qui, depuis mars dernier, dicte le tempo de nos vies, ou de notre absence de vie, a également fait apparaître une nouvelle langue. Avec notamment ces « biens essentiels ». Qu’est-ce, précisément, sinon une expression plutôt laide ? Ce qui est « essentiel » pour moi ne l’est pas forcément pour ma voisine qui, avant la fermeture des librairies, se souciait peu de ces dernières, n’y mettant d’ailleurs jamais les pieds. Ne pas oublier que, en moyenne, les français achètent (ce qui ne signifie pas forcément : lisent) 4 ou 5 livres par an, peut-être 6. Avec une préférence, ces dernières années, pour des romans à la couverture fluo ornée de petits chats ou d’elfes, titrés au hasard Cupidon a des ailes en carton ou Même les méchants rêvent d’amour …
Il n’empêche : avant d’être le pays « des soignants et des patients », avec heure de promenade autorisée sous les miradors, la France se voulait le pays « des arts et des lettres ». Un pays qui tout autant célébrait la gastronomie, les belles quilles, l’amour fou (André Breton), les paysages. Un pays où Paul-Jean Toulet écrivait :  » Ce que j’ai aimé le plus au monde, ne pensez-vous pas ce que soit les femmes, l’alcool et les paysages ?  » Voici, donc, ce qui me paraît essentiel : avoir la liberté de flâner dans les rayonnages d’une librairie, après un déjeuner de soleil en terrasse d’un restaurant, et feuilleter un livre de Paul-Jean Toulet, ou la biographie de Morand signée Pauline Dreyfus, ou Contre le peuple de Frédéric Schiffter, avant de les lire, selon l’envie, fin de la terre face à l’océan, sur les bords du lac Léman ou sous les platanes d’une petite place à Arcangues.

La Faucille d’or, sélectionné pour le Prix Renaudot

Quel impact observez-vous depuis le début de la crise de la Covid et de ce deuxième confinement pour le monde de l’édition ? 

Le monde de l’édition s’est arrêté en mars, avec le premier confinement et la fermeture des librairies. Qui rappelons-le a été souhaitée par le Syndicat des Libraires. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des finances, et homme de plume, avait proposé quant à lui que les librairies restent ouvertes. Au nom de ces fameux « commerces essentiels ». La fermeture des librairies a été catastrophique : pour les éditeurs, pour les auteurs. Des livres parus n’ont jamais pu vivre en librairie : des livres nés-morts. D’autres ont dû être déprogrammés, sans qu’une nouvelle date de parution soit certaine. Au moment du déconfinement, les librairies ont fait passer un message : « moins de titres, s’il vous plaît, et du bankable. » C’est-à-dire : du Dicker, du Musso, du « feelgood » (la littérature pensée comme un pansement …) Une grande éditrice d’une grande maison a alors eu ce mot : « Si ça peut nous éviter d’éditer des livres bof … » Les auteurs « bof » ont dû apprécier. Mais la reprise des activités a été intéressantes. Les livres se sont vendus en juin, cet été, et la rentrée a été globalement bonne. Jusqu’à ce second confinement, qui remet un coup d’arrêt …

Le gouvernement prône l’usage du « click and collect » oubliant qu’au final ce sont les GAFAM les vainqueurs. Dans cette disruption sociétale accélérée, quelle est votre proposition pour que le papier/imprimé ait sa place dans une sobriété numérique ?

Dans un monde d’ « Iphone 44 », de tablettes, d’applications, d’« Instatrucs » et de « Touittes », la sobriété numérique me paraît très compromise. En détournant une formule footballistique, on pourrait dire : « A la fin, ce sont toujours les GAFAM qui gagnent. » En France, toutefois, le livre numérique ne prend guère et le papier/imprimé a sa place. Il ne tient qu’aux lectrices, aux lecteurs, de lui en donner plus encore.

Quelle est la ligne éditoriale des éditions du Rocher ? Comment choisissez-vous vos auteurs ? 

Comme la plupart des maisons d’édition « généralistes », Le Rocher – sous la direction de Bruno Nougayrède – œuvre autant en littérature que sur des documents/témoignages dits d’actualité, sur des essais ou des enquêtes, dans tous les domaines qui intéressent les lecteurs (Histoire française et internationale, Bien-être, pratique, BD, jeunesse etc). Dans ce cadre, les éditeurs qui travaillent pour la maison proposent des idées, des sujets, des auteurs, des textes. Parfois une idée ou un sujet appelle tel auteur. Parfois un auteur arrive avec son envie de mots, ou un texte achevé. En littérature, un comité éditorial permet de confronter plusieurs lectures sur un texte. Au final, c’est bien sûr Bruno Nougayrède qui dispose, tranche et engage Le Rocher sur la publication d’un texte.

Quels sont vos projets et vos sorties à court et moyen terme ? 

Tout mettre en oeuvre, tout d’abord, afin que des textes récemment parus poursuivent leur vie en librairie. Je pense à La Faucille d’or, roman d’Anthony Palou qui figure parmi les finalistes du prix Renaudot. Mais aussi à Sur le vif, les « croquis de mémoire » d’Eric Neuhoff,

à La Bretagne au coeur, flânerie de Patrick Poivre d’Arvor, aux Bukoliques, les brillantes variations de Cédric Meletta autour de Charles Bukowski, à 24 heures dans la vie du corps humain du Docteur Antoine Piau ou encore à L’Affaire Daval d’ Aude Bariety. Entre autres.
Puis à l’horizon 2021, de très belles parutions sont déjà sur les rails. Quelques pistes ? Une très touchante évocation de sa grand-mère Simone Signoret, et de Yves Montand, signée Benjamin Castaldi. Le nouveau roman d’ Enguerrand Guépy, édité par la talentueuse Julie Daniel, qui s’empare d’une célèbre affaire criminelle. Une flânerie aventurière de Philibert Humm. Le nouveau roman de Sophie Henrionnet, après son très remarqué, cette année,
Sur les balcons du ciel. Sans oublier un premier roman drôle et brillant : Braises de stars, de Jean Desportes, qui s’amuse romanesquement avec la télé-réalité …

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