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Culture #Interview

La polysémie du mot déconnexion intéresse le romancier Eric L’Helgoualc’h

06.04.2021
Aujourd'hui, si tu veux avoir un impact sur tes contemporains, il vaut mieux créer une chaîne Youtube qu'écrire un roman. Malgré ce qu'affirme l'un des protagonistes de son roman, La déconnexion (éditions du Faubourg) Eric L’Helgoualc’h garde une foi intacte pour l'aura du livre. Ayant travaillé dans le milieu du web et de la communication, ce premier roman plonge dans un certain climat de la France actuelle où cohabite un optimisme technofile utopique et un militantisme identitaire exacerbé, des débuts d’internet jusqu’aux arcanes du confit syrien. Interview.

Comment avez-vous commencé à écrire ? 

Eric L’Helgouac’h, romancier @Bertrand Verney

Il y a tout juste dix ans, j’ai écrit un premier livre à mi-chemin entre l’essai et le reportage, consacré à l’immigration aux frontières de l’Europe. Mais de la fiction, jamais (si on part du principe que les histoires qu’on écrit enfant ne comptent pas). Comme tout gros lecteur qui hésite à franchir le pas, je me disais : à quoi bon ajouter ma modeste contribution au glorieux canon littéraire ? Comment écrire après Flaubert / Proust / Joyce (remplacer par la figure écrasante de son choix) ? Bref, le genre de fable qu’on se raconte pour justifier sa procrastination. Un jour j’en ai eu assez de procrastiner, j’ai eu l’idée qui m’a poussé à me lancer, et je m’y suis mis sérieusement.

Pourquoi avoir choisi ce sujet qui mêle les débuts d’internet et les conflits du Moyen-Orient ?

L’idée m’est venue d’une collision entre deux histoires que j’avais envie de raconter. Pour la première, j’avais simplement le cadre : la bulle internet et l’essor des start-up en France, à la fin des années 90, période peu exploitée, sauf peut-être par Aurélien Bellanger dans son premier roman, La Théorie de l’information (2012). La seconde racontait l’histoire d’un Français qui partait combattre Daech du côté des Kurdes, sorte de miroir inversé des jeunes musulmans attirés par le djihad.

Un jour j’ai eu l’intuition de fusionner les deux histoires, et mon start-upper à succès s’est retrouvé en Syrie, les armes à la main. Dès lors, tout le défi était d’imaginer les raisons qui ont poussé un homme à qui tout semble avoir réussi à commettre un geste aussi radical. Ce cheminement, je l’ai effectué pas à pas, précédant de quelques coups seulement mon narrateur, un ami du disparu qui cherche à comprendre ses motivations.

À travers ce roman, j’ai voulu retranscrire un certain climat de la France contemporaine. Un climat dans lequel l’optimisme technophile porté par la culture start-up cohabite avec les conséquences des guerres du Moyen-Orient, les attentats, la montée du militantisme identitaire, aujourd’hui très présent en ligne, manière d’en revenir à la thématique d’internet – sans pour autant faire du roman une allégorie de ce qu’est devenu l’internet promis par ses fondateurs.

C’est aussi l’histoire d’un acte inexplicable. Je voulais qu’en terminant le roman, le lecteur continue de se poser des questions sur les motivations du protagoniste, que sa trajectoire continue de résonner en lui.

Votre premier roman s’intitule La Déconnexion, le personnage principal, hérault des débuts d’internet finit par se déconnecter de ce monde mais aussi de sa vie, que représente la déconnexion pour vous ?

La polysémie du mot m’intéressait. Bien sûr, il désigne l’envie d’échapper au flux des réseaux qui collait bien à l’histoire. Mais cette envie très actuelle rejoint une tentation ascétique qui a toujours existé : le désir de se mettre en retrait du monde, qui me paraît assez marqué chez beaucoup de mes contemporains.

À un moment votre personnage dit que « Aujourd’hui, si tu veux avoir un impact sur tes contemporains, il vaut mieux créer une chaîne Youtube qu’écrire un roman », pourtant vous avez écrit un roman, pour quelles raisons?

Probablement parce que ce n’est pas l’impact qui m’intéresse, et heureusement, dans la mesure où peu de romans atteignent un large public parmi les centaines qui sortent chaque année ! Plus sérieusement, cette phrase se rapporte à un thème qui traverse le roman, la confrontation qui se joue actuellement entre l’image et l’écrit, même si les choses ne sont pas aussi caricaturales.

De ce point de vue-là, j’irais encore plus loin que mon personnage : je pense qu’aucun roman n’a jamais eu le moindre impact sur ses contemporains, si par impact on entend un changement radical des comportements et des modes de pensée. En revanche, l’impact esthétique (voire moral) qu’ont pu avoir certains romans sur leurs lecteurs est, lui, incommensurable. D’autant qu’il se prolonge à travers les siècles. Attendons quelques centaines d’années pour tirer le bilan du match avec YouTube.

Quel lecteur êtes-vous ? Avez-vous des découvertes à partager et quels sont vos livres de référence ?

Un lecteur vorace. Et adepte du livre papier, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes en termes de logistique. J’ai toujours trois ou quatre livres en cours au pied de mon lit, puisés dans la pile des nouveautés qui s’accumulent sur mes étagères. Quand je dis nouveautés, ce sont souvent des livres d’occasion, car j’aime passer du temps chez les bouquinistes.

Difficile de parler de références dans la mesure où elles changent tout le temps, en fonction de mes découvertes. L’an passé, je suis rentré sur la pointe des pieds chez Faulkner et Bolaño. Le problème, depuis que je me suis mis en tête d’écrire, c’est que je porte un regard de plus en plus « technique » sur ce que je lis. Avec ces deux-là, je n’en suis pas (encore) à me demander comment ils font. Je prends juste en pleine face le choc de leurs voix singulières, de leurs mondes foisonnants et inconnus. Et je me laisse emporter, comme à quinze ans, quand je passais dix heures par jour dans ma chambre, à lire Guerre et Paix ou le Seigneur des Anneaux.

Propos recueillis le 3 mars 2021

La déconnexion (éditions du Faubourg) 304 p. 18,90.

« Quand on perdit la trace d’Elias Naccache dans le chaos du conflit syrien, quelque part dans les ruines de Raqqa, sa disparition eut suffisamment d’écho pour qu’un magazine versé dans le glamour et les destins brisés me confie le soin d’écrire son portrait. Le public voulait comprendre comment un homme tel que lui, devenu millionnaire après la vente de sa première start-up, avait pu disparaître dans des circonstances aussi extravagantes » tel est l’incipit de ce passionnant roman qui nous entraine des débuts d’internet jusqu’aux arcanes du confit syrien. Ou comment le personnage principal, qui a connu la gloire et la fortune, « se déconnecte » au sens propre et figuré dans ce récit haletant, en s’engageant armes à la main, dans une soif d’absolu. Le roman est également l’histoire d’une amitié née sur les bancs de l’école à Saugé-le-Château, petite ville dans une France loin de la capitale et qui survivra malgré les différences de vie et de point de vue. Un roman réussi qui réfléchit les mirages technologiques et tente de replacer au centre d’une vie les choses vraiment essentielles.

PdF


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