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Culture #Interview

Jean d’Ormesson préfère être dans la Pléiade que sur iPad

19.03.2014
Ecrivain, éditorialiste, chroniqueur, philosophe et récemment acteur, Jean d’Ormesson incarne un certain « art de vivre à la Française » qui en fait l’une des personnalités préférées des Français. Membre de l’Académie Française, il a fait son entrée au mois d’avril 2014 dans la Pléiade, un privilège extrêmement rare pour un auteur de son vivant. Rencontre avec un romancier prolixe qui place les livres et la littérature comme l’oeuvre la plus importante de sa vie.

Quel est votre rapport au papier, représente-t-il pour vous un simple support de l’écriture ou plus que cela ?
La réponse est dans ce bureau dans lequel je vous reçois. Je suis envahi par le papier et comme le héros de la pièce de Ionesco, je risque de mourir sous le papier. Je dois être aujourd’hui l’un des rares écrivains à écrire à la main.
J’ai des relations très étroites avec le papier, il est mon allié naturel, mon ami, et d’une certaine façon mon adversaire, notamment celui de l’administration mais cela est un autre sujet. J’aime le papier pour ce qu’il véhicule de culture, de valeurs, d’échanges…

 

Existe-t-il selon vous une différence entre l’oeuvre sur papier et celle enregistrée sur le numérique, notamment dans l’approche d’un livre ?
Vous l’avez bien compris, je suis un grand partisan du papier. Je ne dispose d’aucun instrument numérique et le fax me paraît être le comble de la modernité (rires).
Je reste et resterai toujours attaché au livre papier, nous conservons avec le papier et avec les livres papiers un rapport sensible et je dirais même charnel.
En voyage, une liseuse ou un Ipad peuvent se révéler pratiques, mais rien ne remplacera le rapport physique à un livre que l’on peut feuilleter, manipuler, écorner… Notre relation au livre est durable. Et si les écrivains conservent une place importante dans la société française, le rapport au support de leur oeuvre n’est pas neutre.

 

Nous entrons dans ce qu’on nomme une « Culture numérique », cela vous inquiète-t-il ?
L’avenir ne m’inquiète pas. Je refuse la formule : « c’était mieux avant ! » On doit regarder l’avenir comme une espérance et non pas comme une menace. Pour autant, nous devons savoir garder un certain nombre de choses qui font partie de notre patrimoine, de notre vie. Je crains que les journaux ne soient un peu plus menacés dans leur forme physique car l’information circule très vite, en temps réel via les chaînes d’information continue radiophoniques ou télévisuelles et bien naturellement via Internet. La presse, notamment quotidienne, doit proposer une profondeur d’analyse et de commentaires de l’information pour conserver ou attirer de nouveaux lecteurs.

Ce que propose un hebdomadaire comme Le 1, que je sais partenaire de Culture Papier, est très représentatif et intéressant.
Pour la presse, je rencontre des directeurs de journaux qui me disent qu’ils vont réduire la taille des articles et je pense que c’est une erreur. L’information brute, les lecteurs peuvent la trouver à la radio, à la télévision ou sur internet. Ils veulent au contraire dans un journal pouvoir lire des articles de fond, de réflexion. Depuis quelques décennies, la radio a concurrencé la télévision ; les ordinateurs ont concurrencé la télévision ; les tablettes concurrencent les ordinateurs…. A chaque fois, la rapidité de l’information augmente mais pas forcément l’analyse de fond.

 

Qu’est ce qui vous rend plus optimiste sur l’avenir du livre papier que sur celui de la presse papier ?
Le livre demeurera plus longtemps grâce à cet attachement dont je vous parlais. Il ne faut pas craindre l’avenir sans pour autant l’adorer aveuglement. Je comprends qu’il puisse y avoir des inquiétudes liées au nucléaire ou au clonage mais n’insultons pas l’avenir. Prenons du passé ce qui doit être sauvé.
Le livre papier disparaîtra sans doute dans 300 ou 400 ans mais dans les 30, 40 ou 50 années qui viennent, la pensée et le raisonnement se feront encore sur du papier.
L’écriture elle-même disparaîtra aussi je le pense dans 1000 ans ou plus ! Beaucoup de jeunes gens aiment encore avoir un livre entre les mains, mais je connais de moins en moins de jeunes gens qui lisent les quotidiens imprimés, ils le font de plus en plus sur écran. Le livre est différent car quand on a beaucoup aimé un livre, on aime l’avoir à côté de soi.

 

Vous rencontrez souvent des jeunes qui lisent sur format numérique et qui vous en parlent ?
Cela arrive et surtout pour mes articles. Je reçois des lettres de jeunes gens qui les ont lu et les partagent sur internet. Et je me retrouve ainsi sur Facebook à mon insu !

 

Peut-on dire quelques mots des événements de Charlie Hebdo. L’un de vos articles paru dans le Figaro quelques semaines avant le drame s’intitulait « Nous sommes en guerre » et avait un sens prémonitoire. Cette attaque contre un journal représente-t-elle aussi une attaque contre la culture et le papier ?
Cela montre la force du papier ! Des dessins ont déclenché des assassinats et ces assassinats sont commis par des individus au nom d’un Livre ! Je doute que ce Livre soit lu intégralement sur numérique même si l’on peut retrouver des passages du Coran sur internet. Internet permet de diffuser facilement les interprétations les plus fantaisistes comme les plus dangereuses. Il est vrai que le livre peut également véhiculer le meilleur comme le pire, mais c’est plus difficile.

 

Lors de la manifestation, les Français ont levé des crayons, c’est aussi un symbole fort de la culture ?
C’est un acte très parlant ! C’était d’abord extrêmement émouvant, cela exprimait le chagrin, la tristesse, la solidarité. Nous avons pu voir aussi des choses étranges des « Vive Charlie » et des « Vive la police » sur les mêmes pancartes !

 

Vous allez paraître dans la collection La Pléiade, quel est votre sentiment ? Cela doit représenter quelque chose de particulier, c’est plus qu’un livre, c’est un objet….
La Pléiade est le paradis des écrivains ! Désormais certains me disent que je suis tranquille pour l’éternité ! Non, pas tout à fait, mais je suis assuré que ce que j’ai écrit sera transmis aux générations futures. Mais le fait d’entrer à la Pléiade ne change pas le jugement qui sera porté sur l’oeuvre. Ceux qui jugent la qualité d’une oeuvre à résister au temps ce ne sont pas les Académies, ce ne sont pas les prix littéraires, ce n’est même pas le public d’aujourd’hui mais celui de demain ! Et il est impossible de savoir ce qu’il en sera. La Pléiade aide à la transmission et Dieu sait que cela est important.

Cette transmission se fait sur des années, des siècles. Et depuis 2500 ans, elle s’est faite sur du papier, des parchemins, des papyrus ! Depuis 2000 ans, le papier transmet les idées, entraîne les passions ; et quoi de plus passionnel que les lettres d’amour qui se sont peu à peu perdues pour être remplacées par des sms !

 

Les livres passent sur un format numérique, avez-vous beaucoup de lecteurs qui lisent vos oeuvres en format numérique et que pensez-vous du problème de la protection de la propriété intellectuelle ?
Je m’interroge parfois, même si je ne m’en occupe pas directement. Cela pose des problèmes difficiles à résoudre à la Société des Gens de Lettres ou la SACD. Car rien n’est plus facile que de transférer un livre numérique.

 

Nous essayons à Culture Papier de valoriser les qualités de la lecture sur papier, notamment auprès des jeunes. La lenteur, la profondeur de la lecture, le besoin de déconnecter de l’immédiateté semblent d’ailleurs des qualités de plus en plus appréciées. Quel serait le message que vous souhaiteriez transmettre aux jeunes d’aujourd’hui ?
On me pose souvent la question et je me souviens que lorsque j’étais jeune moi-même et que des gens de mon âge actuel voulaient me donner des conseils, je les vomissais ! Aussi je me garde de donner des conseils aux jeunes gens ! La seule chose que je pourrais leur dire, c’est que l’on peut vivre sans livres mais que l’on vit beaucoup mieux en lisant des livres !
Et une des bonnes méthodes pour lire est de lire sur du papier. Naturellement nous pouvons lire sur écran, mais un livre papier, par le rapport au papier lui-même, à une certaine sensualité, contribue à un petit bonheur.
S’il fait beau en plein air, dans un jardin public ou dans un train, quel bonheur d’ouvrir, de feuilleter un livre !

 

S’il ne fallait garder que quelques titres de votre oeuvre, quels seraient-ils ?
Si vous avez des enfants et qu’on vous demande de choisir ceux que vous préférez, une mère vous dira que cela est très difficile. Mais s’il faut faire un choix, je prendrais les quatre qui vont être publiés dans La Pléaide : La Gloire de l’Empire, Au plaisir de Dieu, L’Histoire du Juif errant, La Douane de Mer.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Zappa et Patricia de Figueirédo – extrait du Magazine Culture Papier n°12 mars 2014

 


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