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Culture #Interview

« Je fais des livres parce que je ne peux pas faire de films », Jean-Paul Dubois, Prix Goncourt 2019

25.11.2020

Dernier tenant du Prix Goncourt avec « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » pour encore quelques jours, Jean-Paul Dubois s’assume comme un très grand viveur, un « Alexandre le bienheureux ». Ce passionné des mécanismes de la mémoire et de l’imaginaire participe au livre caritatif 13 à Table. Et nous confie son mode d’écriture.


Le livre est-il un bien essentiel à vos yeux ?

Je ne vis que dans le doute et chaque jour amène la réponse que je me posais la veille. Aussi il est difficile pour moi de répondre à cette question. Ce qui est essentiel pour une personne ne le sera pas pour la suivante. Je ne sais pas ce que c’est un bien essentiel.

Jean-Paul Dubois, Prix Goncourt 2019 © Editions de l’Olivier, Ulrich Leboeuf

Avez-vous été impacté par la crise de la Covid ?

J’ai eu la chance que mon livre sorte au meilleur moment. Il s’était très bien vendu avant le Prix Goncourt, encore plus après.  Quand le confinement est arrivé, la promotion n’avait pas vraiment commencé et comme je déteste cette partie, cela a été un bonheur pour moi de ne pas la faire. Mais en dehors de mon cas particulier, la crise impacte toute une filière et toutes les personnes qui travaillent, de l’écriture à la publication. Je pense aux auteurs qui se retrouvent dans la dernière sélection des prix et qui sont noyés dans le flot d’informations entre les hospitalisations, l’élection américaine…

Avez-vous écrit pendant le confinement ?

Pour faire un livre, il me faut un esprit tranquille pendant 31 jours et actuellement il y a trop de sollicitations externes qui polarisent l’esprit pour que je puisse me consacrer à une fiction avec une loyauté intellectuelle. J’ai des idées qui passent. Je suis plutôt un très grand viveur dans tous les sens du terme plutôt qu’un très grand lecteur et très grand travailleur. Un « Alexandre le bienheureux » assumé et j’ai la chance de vivre avec de l’espace, la nature, les animaux.

Comment l’idée de « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon »  est -elle venue ?

Comme me viennent toutes les autres idées, je ne planifie rien quand je fais un livre. J’ai toujours considéré qu’il suffisait de s’arrêter de vivre pendant 31 jours. Je m’enferme de 10h à 4h du matin tous les jours. A la fin cela fait un livre. Mais parfois ce livre est le fruit de 20, 30 ou 40 années de vie qui ont produit l’histoire.
Dans le roman, le narrateur est homme à tout faire dans un immeuble de Montréal. Cet homme existe, je l’ai rencontré il y a 25 ans. C’est un génie, généreux, son rapport aux autres est vrai. Un jour je me suis décidé à écrire sur lui.  Je l’ai appelé pour lui annoncer le prix, il débordait de joie ; le livre est désormais dans les couloirs de son immeuble.

Et le titre ? 

Je l’ai écrit il y a 20 ans pour le musée d’art moderne d’Ottawa qui m’avait demandé d’écrire la préface de la plaquette d’une rétrospective de l’un de mes amis Rober Racine.  Cet artiste pluridisciplinaire fait des choses étranges et singulières. Une fois le roman fini, je ne trouvais pas de titre et tout d’un coup j’ai repensé à ce titre et toute l’histoire m’est revenue.

Que signifie cette limite de « 31 jours » ?

Pour mon premier livre, j’ai voulu faire une course avec Boris Vian qui avait écrit J’irai cracher sur vos tombes en 25 jours. J’ai « perdu » car j’ai mis 28 ou 29 jours – à l’époque j’avais une Jappy rouge – mais j’ai trouvé que c’était une méthode. En me donnant des contraintes très sévères, c’est une façon de me rescolariser, de me remettre dans ce corset pénible de la contrainte. Depuis, je n’ai jamais débordé !

Certains ne comprennent pas ma façon de faire mais de mon point de vue, la charge n’est supportable que si on s’en défait très vite sans bâcler le travail.

Cette contrainte participe à votre fascination pour le cognitif ?

J’ai une très bonne mémoire, Ce sujet me passionne, j’ai beaucoup discuté avec des neurologues, pour savoir comment fonctionne le cerveau. Pourquoi je fais de choses pendant 31 jours que je ne ferais jamais dans la vie normale ?

En fait, les yeux sont des scanners qui en permanence regardent et emmagasinent une mémoire endormie dite « grand-mère » qui stocke des données que nous n’utilisons pas mais qui, à un moment de sollicitation ou d’émotion, peuvent remonter.

Riad Sattouf en a dessiné la couverture en mettant en scène le personnage d’Esther avec générosité et poésie.

C’est la première fois que vous participer à l’aventure de 13 à Table 

Oui et j’ai tout de suite adhéré à la proposition. Je trouvé la simplicité de l’idée formidable :

13 personnes racontent des histoires de 15 à 20 feuillets et au final cela permet de distribuer 1 millions de repas grâce à la solidarité de l’ensemble de la chaîne. Nous participons à donner une vie meilleure à des gens dans la difficulté, je trouve cela fantastique et efficace et je suis prêt à m’investir les années prochaines.

Votre nouvelle évoque votre chienne, pourquoi ce choix ?

Le thème de cette année imposait « des histoires d’amour ». Or je ne suis pas à l’aise avec ça c’est irracontable.  Je vis avec des chiens dont une qui avait 14 ans est morte pendant le confinement.  J’ai dû la faire incinérer. Elle m’a inspiré l’histoire. C’est infiniment touchant pour moi qu’elle soit dans le livre. Je ne pourrais pas imaginer des histoires trop lointaines de ce que je vis car je perdrais la capacité à restituer le moment qui sort d’un livre pour être un film. Je fais des livres parce que je ne peux pas faire de films. C’est un parcours compliqué, avec tout ce que cela implique. Pourtant c’est tellement beau un film réussi.

Propos recueillis le 22 novembre 2020 par Patricia de Figueiredo


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