Accueil>Nos actions>Le Blog #Lepapieraufutur>Il faut raison garder et se poser la nécessité ou non de publier un livre, pour Françoise Nyssen.
Culture #Interview

Il faut raison garder et se poser la nécessité ou non de publier un livre, pour Françoise Nyssen.

31.03.2022
L’éditrice Françoise Nyssen à la tête d’Actes Sud se réjouit que le livre soit de nouveau au cœur du nouveau Festival du Livre de Paris, mais l’ancienne ministre de la Culture redouble d’inquiétude sur l’avenir du secteur si la fusion Hachette-Editis devait se faire. 

Un nouveau Festival du Livre à Paris voit le jour, ce renouveau était-il important ?

Françoise-Nyssen ©-Renaud-Monfourny

Deux années frustrantes sans salons sont passées. Il était important de parler à nouveau du livre, des métiers du livre. La version précédente s’essoufflait, certains éditeurs ne venaient plus, aussi il est bien de reprendre la copie. La nouvelle équipe pilotée par Jean-Baptiste Passé a repensé complètement l’événement en en faisant une grande librairie, pour qu’il redevienne un grand salon du livre à Paris, gratuit et cohérent. Je suis très heureuse de cette finalisation ; les libraires vont tenir les espaces et les éditeurs se recentrent sur leurs thématiques. La démarche est intéressante, cohérente avec les éditeurs, avec l’écosystème. Une place importante est donnée aux auteurs pour des signatures, des débats, des rencontres, des événements hors les murs. Le métier de la librairie, qui reste incontournable, sera aussi revalorisé.

À Paris toutes les librairies défendent les livres, il est normal qu’elles soient au cœur du processus.

Vous vous êtes déjà exprimée sur votre opposition à la fusion Hachette-Editis ? Pouvez-vous nous les développer à nouveau ?

Pourquoi l’édition devrait-elle être regroupée au sein d’un même groupe ? C’est un métier artisanal, de diversité, de création, de l’offre, un métier de prototype où chaque livre a sa singularité. Pourquoi en faire un énorme groupe ? Regardons les conséquences, analysons ce que cela voudrait dire, avec des médias puissants – Cnews, Canal +, Europe 1, le JDD, Havas – les Relais H, l’Entertainment qui seraient tous du même côté de ces maisons d’éditions. Nous ne sommes plus dans la configuration où en 2003 Hachette et Editis étaient de taille similaire, évaluées à 0, 7 milliards d’euros, aujourd’hui Hachette tourne autour de 2,4 milliards avec des acquisitions étrangères très conséquentes, le rapport de force a donc changé.

Ce ne serait plus une fusion horizontale mais une fusion verticale et horizontale !

Ils détiendraient une puissance énorme et disproportionnée. Ils auraient une capacité à attirer les auteurs avec une puissance financière, médiatique, commerciale, droits dérivés – avec des possibilités importantes d’adaptation médias, web, traduction sans véritable concurrence.

Cette asymétrie déstabiliserait les autres éditeurs ?

Totalement. Cela créerait une distorsion de concurrence. Ce nouveau groupe pourrait capter des auteurs de best-sellers, capter la création, avec parfois, on l’a vu, un regard d’actionnaire sur les éditions. C’est un danger pour la biodiversité dans notre secteur. Même l’accès aux matières premières sera un sujet, car ils auront la capacité d’acheter du papier en masse, de réserver des créneaux d’impression, alors qu’il y a une pénurie de papier actuellement, avec des hausses de prix considérables et une difficulté à avoir des créneaux d’impression.

Avec quelles conséquences pour le fragile écosystème du livre ?

Nous voyons déjà ce qui pourrait se produire. Un exemple récent :  Le Bruit du monde, nouvelle maison créée en 6 mois chez Editis avec des moyens de financement conséquents en amont, avant toute publication.

Enfin, du point de vue de la librairie, les libraires sont également soucieux. C’est pour cette raison qu’ils ont pris le même avocat que nous pour porter l’affaire à Bruxelles. La puissance du futur groupe pourraient mettre en difficulté certaines librairies, qui pourraient se trouver en grandes difficultés si le compte Editis-Hachette était coupé. Ils n’auraient plus accès aux livres et ne pourraient plus vivre de leur métier.

Revenons à Actes Sud, comment avez-vous vécu ces dernières années avec le confinement et la reprise ?

2020 a été compliquée avec l’arrêt brutal de la chaîne et la fermeture des librairies pendant deux mois et demi. Objectivement, nous avons été très bien accompagnés par l’État grâce au dispositif d’aide à l’activité partielle ainsi que les PGE. Les libraires étaient submergées avec les nouveautés de mars et avril qui n’ont pas pu s’écouler, aussi nous avons joué le jeu en réduisant la mise en place les mois suivants.  Et Actes Sud a décidé de continuer sur ce principe, publier moins de livres et mieux les accompagner encore. Les libraires ont tous fait valoir qu’il y a une quantité de nouveautés trop importante et donc difficile à défendre.

De notre côté, nous allons vers un contrôle de notre production.

Au moment où se posent des préoccupations sur un avenir moins carboné, sur des questions sur le gaspillage, il faut être dans une tension par rapport au choix, une compréhension de ce que les libraires peuvent ou ne peuvent pas défendre. À l’issue de nos 45 ans d’existence, nous avons assisté à une embellie de création de maisons d’éditions. Tout le monde s‘intéresse à la littérature, issue des quatre coins du monde et c’est une chance et richesse qu’il faut pouvoir accompagner.

Il faut raison garder et se poser la nécessité ou non de publier un livre.

Quelles sont les valeurs sûres d’Actes Sud et avez-vous de nouveaux projets ?

Le domaine Nature et Société connait un vrai engouement (les collections le Domaine du possible, Mondes sauvages...) De nombreux auteurs, comme Nicolas Mathieu, Eric Vuillard ou Jeanne Benameur, en ce début 2022, tracent leur route et s’installent parmi les meilleures ventes.

Notre souhait est de faire émerger des auteurs.

Richard Powers nous a rejoint avec Sidérations qui est un chef d’œuvre, l’écrivain turc Ahmet Altan avec Madame Hayat a eu le prix Fémina étranger. Actes Sud continue dans cette ligne d’exigence.  Pour encore mieux diffuser les contenus et les savoirs, il est aussi important de développer le pôle numérique, d’avancer sur le livre audio, pourquoi pas de mettre en place une plateforme de transmission du savoir à travers les livres, les prolonger par des masters class… plusieurs pistes à creuser et développer.

Propos recueillis le 16 mars 2022 par Patricia de Figueiredo

 


Continuer la lecture