Guillaume Martin, le « Vélosophe » repart pour un Tour (de France)
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Culture

Guillaume Martin, le « Vélosophe » repart pour un Tour (de France)

05.07.2023
Philosophe diplômé, auteur talentueux et cycliste de haut niveau, Guillaume Martin est un oiseau rare : un « vélosophe », qui revendique sa simplicité, sa normalité et une vie organisée : soit il pédale… soit il écrit, soit il bouquine ! Figure phare de l'équipe Cofidis, il fait partie des meilleurs cyclistes français d'aujourd'hui. Ce n'est pas rien mais, plus étonnant, il est aussi philosophe de formation et l'auteur à succès d'une pièce et de deux essais. Un roman est à venir prochainement. Il revendique donc deux amours, deux univers, deux passions: le vélo et la philo !  

Article extrait de la Revue L’Imprimé #42 – Par Catherine Mandigon

Côté bouquins, il évoque l’héritage paternel : « Mon père a eu plusieurs vies. Dans la première, il était typographe et il a gardé cette passion. Il possède un fond typographique avec pas mal de machines, énor­mément de casses avec des caractères en plomb et il continue d’imprimer. Ma mère, elle, est comé­dienne et metteure en scène. j’ai donc grandi dans cet univers-là, avec l’amour du papier et des lettres. » Précisons aussi, détail biographique moins connu, que sa compagne est bibliothécaire.

Côté sport: son père toujours. Dans sa seconde vie de professeur d’aïkido, il a su développer l’esprit de compétition chez son fils autant que le panache athlétique et l’amour du sport. « Cycliste lui-même quand il était jeune, il m’emmenait voir des courses. Je vivais à la campagne et donc je me suis mis au vélo très naturellement et un peu plus sérieusement vers 12-13 ans en prenant une licence. » Par la suite, il a grimpé les échelons … et les cols !

Le sport, c’est aussi le plaisir de la confrontation, le désir d’affirmation de soi pour un jeune homme dont le caractère le porte plus vers un sport indivi­duel que purement collectif. « Quand on est jeune, on voit en effet le vélo comme un sport individuel. Ensuite, on découvre assez vite, surtout quand on arrive chez les pros, que c’est aussi un travail d’équipe, tient-il à préciser. Une discipline où l’on doit à la fois ne pas s’oublier, ne pas se sacrifier totalement et, en même temps, jouer le jeu du collectif, c’est fasci­nant. »
Une vision qui ressemble furieusement à un problème philosophique, non ?

Échange avec Guillaume Martin, lors de sa préparation à Tignes, en vue du Tour de France

Êtes-vous le même dans la vie et sur un vélo ?
Guillaume Martin : Bien sûr que non. Dans la vie de tous les jours, je peux être assez introverti, pas forcément timide, mais en tout cas, quelqu’un de calme et plutôt réservé. Sur le vélo, je suis beaucoup plus désinhibé, dans l’instinct, dans un rapport plus pulsionnel aux choses. Et c’est ça aussi que j’aime dans le vélo  !

Quel type de coureur êtes-vous ?
Je suis plutôt un coureur du classement général ; c’est sur ce terrain-là que je chercherai à m’exprimer sur le prochain Tour de France. J’ai été classé 8e en 2021 et, bien sûr, mon ambition est d’améliorer cette performance. Plus précisément, je ne suis pas très lourd, pas très grand, donc j’ai un profil de grimpeur.

Où est la philosophie durant les courses ?
Je ne sais pas si la philosophie sert à grand-chose sur le vélo à un instant T : le cyclisme ne peut se résumer à une simple réflexion, à un calcul rationnel. Si je pense trop, je n’agis pas. Trop de réflexion tue l’action. Le cyclisme n’est pas un art de la réflexion, mais un art de l’instinct. Peut-être dans des séances particulièrement difficiles, il faut réussir à être nietzschéen et se dire que ce n’est pas simplement de la souffrance mais aussi quelque chose que j’aime et que la douleur se transforme en plaisir. C’est un peu théorique, quant à la mise en pratique… La philosophie, je la réserve plutôt à mes livres. Je pense, par exemple, que le grimpeur est vraiment une figure philosophique. Je fais un parallèle avec Zarathoustra de Nietzsche qui monte et descend de sa montagne, un peu comme le grimpeur qui cherche à s’isoler dans les cimes et, à un moment donné, s’y ennuie peut-être un peu et doit redescendre dans la vallée rejoindre les autres. Encore une fois, l’individuel et le collectif.

La lecture et les livres sont toujours importants dans votre vie ?
Je lis quasi quotidiennement mais ce n’est pas toujours simple sur une course pour plusieurs raisons : je ne suis pas souvent seul et, plus simplement, je suis fatigué ou stressé pour l’étape du lendemain. Il faut choisir ses lectures en fonction du moment et de la course. Sur les grands tours, comme le Tour de France, par exemple, je prends des choses un peu plus faciles d’accès comme des biographies ou des textes qui peuvent se lire de manière hachée, des nouvelles, etc. En ce moment, je suis en train de lire Oblomov, d’Ivan Gontcharov [un propriétaire terrien russe qui cultive comme son bien le plus précieux, un penchant naturel à la paresse, NDLR]. Dernièrement j’ai lu le livre très fort de Mathieu Pallain, Ne t’arrête pas de courir, avec son côté documentaire et récit de vie.

Vous avez une bibliothèque importante ?
Oui, j’aime avoir des livres autour de moi. J’ai d’ailleurs quelques débats à ce sujet-là avec ma compagne, bibliothécaire. Paradoxalement, elle sacralise moins le livre que moi. Pour elle, l’enjeu est plus la lecture que l’objet, ce que je comprends. Mais le concept de désherber une bibliothèque, de mettre des livres au pilon, continue de me choquer… Je suis attaché au fait d’aller en librairie et de me laisser surprendre, d’acheter des livres et de les garder même en sachant que je ne les relirai plus.

Vos livres de chevet ?
Bien sûr, Ecce homo de Nietzsche, qui m’a introduit à la philosophie, bien loin de l’image que l’on en a généralement et qui peut faire peur à beaucoup de gens. Nietzsche parle de choses très concrètes qui ont accroché le sportif en devenir que j’étais : des conseils de diététique, des réflexions sur le climat idéal… Et j’ai lu très récemment un ouvrage – beaucoup moins connu – le Petit Manuel individualiste de Han Ryner, un auteur anarchiste du début du XXe siècle. Un personnage vraiment très farfelu et qui correspondait bien à mes propres visions philosophiques à ce moment-là. Et pour citer un roman, je dirai Crime et Châtiment, de Dostoïevski ; un livre également de mes années de jeunesse. Je suis finalement assez éclectique. J’ai aussi lu Michel Houellebecq, et j’ai particulièrement apprécié le livre «  dans la forêt » de l’auteure américaine Jean Hegland.

On vous a collé l’étiquette de sportif intello : cela vous agace-t-il ?
Au tout début, oui, parce qu’on est vraiment dans le cliché. Je me souviens notamment au départ d’une étape du Tour, certains journalistes voulaient me prendre en photo en cuissard, en train de lire Nietzsche adossé à la voiture du directeur sportif… Ensuite, j’ai eu de plus en plus de résultats sportifs, quand on parle de sport, maintenant, c’est juste du sport, on oublie la double casquette et le côté un peu bête de foire.

Et vos coéquipiers ?
Je vous rassure, dans la vie de tous les jours, je suis « normal », je ne parle pas de Platon au petit déjeuner ! De l’intérieur, je ne suis donc pas perçu comme quelqu’un de bizarre. Le vélo est aussi une société assez diverse, aujourd’hui en tout cas, avec des profils très différents. Finalement, il n’y a pas trop de jugement. D’ailleurs, au travers de mes interviews et de mes livres, je me bats contre cette idée du cycliste un peu bourrin. Le niveau de performance est tel dans le vélo professionnel, qu’il faut forcément développer une intelligence pour être bon.

 

Bio Express 

Né en 1993 dans l’Eure (Normandie), Guillaume Martin est devenu cycliste professionnel en 2016, après avoir obtenu un master 2 de philosophie dont le thème de mémoire était : Le sport moderne : une mise en application de la philosophie nietzschéenne ? 

Palmares 

Équipe Cofidis (depuis 2020)
– Meilleur grimpeur du Tour d »Espagne 2020
– 3e du Critérium du Dauphiné 2020
– 8e du Tour de France 2021 (1er Français)
– Classement mondial 2022 : 35e

 

Ses qualités  : régularité et endurance.
Ses défauts  : en course, il laisse parfois la réflexion prendre le pas sur l’instinct.

 

C’est quoi un « vélosophe » ?

À côté de chroniques pour Le Monde, Guillaume Martin a signé trois ouvrages centrés sur ses réflexions concernant les enjeux philosophiques qui traversent une course cycliste. À découvrir pour une approche inédite et un vrai plaisir de lecture…

Platon vs PlatocheÉditions L’Harmattan (Théâtre)
Une comédie philosophique qui désacralise par la fiction et l’humour une discipline aux apparences parfois austères.
Son ambition est de montrer que la tête et les jambes n’ont pas à être opposées.

Socrate à véloÉditions Grasset
Imaginez Socrate, Aristote, Nietzsche, Pascal et consorts sur la ligne de départ. Suivez leur préparation pour le Tour de France, partagez leurs interrogations, leurs doutes, leurs errements. Réfléchissez à leurs côtés. Pédalez avec ces « vélosophes ». On dit qu’ils seraient dotés d’une potion magique : leur intelligence. Celle-ci leur permettra-t-elle de conquérir le maillot jaune tant convoité ?

La société du pelotonÉditions Grasset
La bataille au sein du peloton fait rage. Tous les équipiers tentent de placer leurs leaders pour l’instant décisif. L’échappée se détache enfin, elle doit maintenant résister au retour du groupe principal. Malgré leur rivalité, les fugitifs doivent collaborer et harmoniser leurs efforts s’ils veulent conserver leur avance. Il n’y aura qu’un seul vainqueur et, pourtant, ce dernier ne peut espérer franchir la ligne d’arrivée sans s’appuyer sur le travail des autres.


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