Fracture numérique et exclusion, l’imprimé a-t-il un rôle ?
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Fracture numérique et exclusion, l’imprimé a-t-il un rôle ?

21.02.2022
En 2020, 2,5 millions de personnes étaient en situation d’illettrisme, 13 millions en situation d’illectronisme. Leur intégration en évitant toute stigmatisation commence par mieux les connaître pour une action efficace. Béatrice Piron, Eric Trousset et Laurent Piolatto apportent leurs éclairages sur cet enjeu sociétal et démocratique.

En 2017, le terme d’illectronisme n’existait pas dans les textes

Béatrice Piron, députée des Yvelines, présidente du groupe d’études Illettrisme et illectronisme.

Sortir de la confusion entre analphabétisme et illettrisme

Béatrice Piron, députée des Yvelines, présidente du groupe d’études Illettrisme et illectronisme.

Au début de ma mandature en 2017, le terme d’illectronisme n’existait pas dans les textes, ni à l’Assemblée nationale. C’est en prenant la présidence du groupe sur l’illettrisme et en travaillant avec mes collègues que nous avons constaté l’importance de l’illectronisme et ses points communs avec l’illettrisme. Nous avons ainsi élargi le périmètre du groupe d’études. Un autre groupe d’études sur le numérique existe mais reste plus focalisé sur l’évolution technologique et l’intelligence artificielle.

Nous avons au départ travaillé avec les personnes en difficulté avec la lecture. Il existe parfois confusion entre analphabétisme et illettrisme ; les personnes atteintes d’illettrisme ont entre 18 ans et 65 ans et ont été scolarisées jusqu’à 16 ans au moins dans une école française. Ce ne sont donc pas des étrangers. Il ne faut pas confondre avec une problématique d’immigration ou avec les allophones.

La grande majorité des gens en situation d’illettrisme sont aussi en situation d’illectronisme mais l’inverse n’est pas vrai : des personnes qui ne sont pas en situation d’illettrisme peuvent être en situation d’illectronisme et je n’oppose pas l’un et l’autre car certains outils numériques peuvent aider les personnes en situation d’illettrisme avec des jeux, des outils pédagogiques. C’est dans cet esprit que nous cherchons à apporter des réponses à ces deux problématiques.

Le groupe d’études Illettrisme et illectronisme.

Il comporte une dizaine de députés venant de différentes commissions et de différents partis politiques. Il se réunit tous les deux mois environ pour des auditions et organise une fois par an un colloque. Nous avons reçu une cinquantaine de personnes depuis le début de la mandature : des ministères, des associations et des organisations qui travaillent sur ces problématiques. Le but étant de faire de la veille législative pour que les nouvelles lois votées prennent en compte ces enjeux.  À titre d’exemple, j’ai travaillé avec Florence Provendier sur la proposition de Loi sur les bibliothèques récemment votée et plus particulièrement sur la problématique des gens en situation d’illettrisme. Nous contrôlons aussi l’action du gouvernement pour évaluer de façon globale les politiques publiques. Nous travaillons sur la prévention, la mesure et la lutte contre l’illettrisme avec notamment l’ANLCI (l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme).

Élargir la définition de l’illectronisme.

Pendant plusieurs années, les politiques publiques se sont focalisées sur l’accès pour tous au numérique avec le Plan France Haut débit, avec une certaine réussite puisque tout le monde peut avoir accès à la 4G ou au wifi sur des lieux publics. Nous travaillons désormais sur la compétence des gens. La problématique n’est pas uniquement liée à l’âge car certains jeunes passent aussi à côté de la maitrise des outils digitaux généraux. S’ils sont plus à l’aise sur les réseaux sociaux, ils ne maîtrisent pas forcément les outils pour des besoins professionnels ou de citoyenneté. Souvent il existe un sentiment de honte.

Combattre l’illettrisme par apprentissage permanent

Depuis le début de notre mandat, nous avons deux priorités : la prévention de l’illettrisme et l’apprentissage tout au long de la vie, par la formation professionnelle, car l’illettrisme est aussi un problème de désapprentissage. Prévenir l’illettrisme, c’est investir à l’école en renforçant les apprentissages fondamentaux « lire, écrire, compter, respecter autrui », en limitant à 12 élèves les classes de CP et de CE1 en REP et en REP +, en rendant la scolarité obligatoire à 3 ans… La prévention et la formation sont des impératifs car les résultats de la Journée Défense et Citoyenneté montrent que 12% des jeunes en métropole ont des difficultés de lecture, 41% dans les Outre-mer. Les tests de « fluence » réalisés à l’entrée de la 6ème indiquent que 15% des élèves n’ont pas le niveau attendu en fin de CE2 : je me bats pour qu’on donne à ces élèves un temps de rattrapage en 6ème, après c’est trop tard.

La JDC (Journée de la citoyenneté) bon marqueur de l’illettrisme en France

En 2020, la JDC a été interrompue pendant le confinement donc des jeunes n’ont pas pu la faire. Elle a été sous format digital pendant quelques mois, mais les résultats n’étaient pas probants et ils sont revenus en présentiel, en demi-jauge à l’heure actuelle. La JDC est le bon marqueur de l’illettrisme car un test d’évaluation des compétences en langue française est organisé. J’ai assisté à une session à Versailles et j’ai pu constater des difficultés, par exemple sur des mots comme « burlesque » ou « cramoisi » ou à l’occasion d’un test nécessitant quelques connaissances en histoire.

Il ne faut pas opposer numérique et papier.

Certains outils numériques, comme TACIT développé par l’Université de Rennes, permettent d’accompagner des enfants en grande difficulté sur l’orthographe, la grammaire ou le vocabulaire. En 2022, l’INSEE va actualiser son enquête de 2004 puis 2011 « informations et vie quotidienne », incluant les usages du numérique. Elle se passe à domicile : pendant plus d’une heure, les personnes interrogées sont devant un texte avec assez de temps pour le lire, puis ont des questions sur la compréhension car le déclaratif ne suffit pas.

Pour favoriser la lecture sur papier, le gouvernement distribue chaque été un livre à tous les enfants d’une classe d’âge. Il apporte également une aide au premier abonnement à un support de presse papier avec un crédit d’impôt de 50 % pour encourager les gens à s’abonner, quel que soit l’âge.

Le média de questionnement des sondages influe la représentativité

Eric Trousset, Directeur du développement de la BU Media chez La Poste et président du GIE BALmétrie

Eric Trousset, Directeur du développement de la BU Media chez La Poste et président du GIE BALmétrie

Je ne suis pas un spécialiste de l’illectronisme mais cela fait plusieurs années que je travaille sur les études. La méthode de questionnement dans les enquêtes renvoie à la représentativité de la population. Dans l’objectif de BALmetrie est de mesurer l’audience et la lecture du courrier de gestion et du courrier publicitaire, à la fois adressé et non-adressé. Quand j’ai créé le GIE il y a 10 ans avec Ipsos, la question de la méthode s’est posée pour définir le panel à interroger.

Il y a quatre manières de collecter l’information :

  • Le face-à-face qui s’avère lourd, compliqué et couteux ;
  • Le téléphone qui était le plus répandu pendant longtemps ;

Internet avec des formats différents, il y a quelques années sur ordinateur et désormais sur mobile, car c’est devenu le principal outil de connexion à internet ;

  • Le courrier, où un questionnaire papier est envoyé et qui doit être renvoyé

Les choix de BALmétrie/IPSOS

Sur une base de 6000 personnes interrogées par an, IPSOS pour BALmétrie a choisi de demander aux personnes interrogées de répondre à un questionnaire pendant 9 jours soit en ligne, soit sur papier. 17% préfèrent répondre via le papier même si cela est plus contraignant. Le taux de retour sur le digital est supérieur, pour autant nous ne pouvons pas nous priver de 17% de la population. Si j’extrapole, cela pose la question de la représentativité des enquêtes 100% digitales. On prend le risque de se priver d’une partie de la population qui représente des opinions, un poids économique et dont on ne collecte pas les informations. C’est une réalité de tous les jours. Le profil de ces 17% est plutôt sénior, + de 65 ans et rural mais pas seulement.

Il est difficile d’appréhender ceux qui ont du mal avec le digital

Le sujet est d’autant plus compliqué car certains sont éloignés du numérique par choix et d’autres ne maitrisent pas les outils. Leur demander, même sous garantie d’anonymat, reste quelque chose qui peut être ressenti comme un « handicap » ou une « stigmatisation ».

Le sujet est complexe aussi en termes de méthode ; ces 17% sont de plus gros lecteurs avec des habitudes de consommation et ils correspondent à la frange résiduelle de la vente par correspondance sur des marques comme Daxon ou Damart, par exemple.

Les professeurs sont là pour enseigner des compétences,

Géraldine Bannier, députée de la Mayenne, présidente du groupe « Livre, économie du Livre, économie du papier » et professeure de français.

Géraldine Bannier, députée de la Mayenne, présidente du groupe d’études : Livre, économie du Livre, économie du Papier

Les enfants ont énormément perdu en vocabulaire, ce qui nécessite de tout expliquer en classe. J’essaye d’alerter mes collègues, Il est bien de faire des journées sur le harcèlement, la sécurité routière, mais nous avons perdu au collège deux heures de français en 20 ans par semaine et cela se retrouve dans le niveau des élèves. Les professeurs sont là pour enseigner des compétences, il faut le rappeler.

 

 

 

 

 

La lecture fonctionnelle est différente de la « literacy »

Laurent Piolatto, Délégué Général de « Lire et faire lire »

Nous privilégions le livre papier pour nos actions mais avec la pandémie nous avons fait le constat de la complémentarité des outils numériques. Je n’oppose pas les deux.
Il est regrettable que dans les débats sur l’accès à la lecture en France, nous ne prenions pas en compte le terme de ‘literacy’ qu’utilisent les anglo-saxons et qui regroupe l’accès au sens du texte, et la compréhension du texte dans sa profondeur, c’est le propre de la littérature.

Laurent Piolatto, Délégué général de Lire et Faire Lire

Nous ne disposons pas d’études sur cet accès à la ‘literacy’ et de mon point de vue c’est une faiblesse pour faire avancer le débat. Une vraie lecture permet d’accéder au sens du texte ; on ne sera jamais pleinement un lecteur si on ne peut se l’approprier. La lecture fonctionnelle est différente que de lire Balzac ou Flaubert. L’enjeu est bien d’aller au-delà du déchiffrage.

Entre lecteur et électeur il n’y a qu’une lettre.

Y-a-t-il un lien entre les 17% d‘illectroniques’ identifiés par BalMétrie et le taux d’abstention aux élections ? Est-ce que ce n’est pas cette même partie de la population avec qui on ne fait plus communauté ? Comment retisser le lien avec eux ?

 Quand les gamins n’ont pas de mots, ils prennent leurs poings.  L’école seule ne fait pas rattraper le déficit de vocabulaire qui existe à l’entrée de la scolarité entre les enfants qui ont du vocabulaire par leur famille et les autres. La solution réside dans la complémentarité et le soutien des alliés de l’école qui aident ces enfants à acquérir un bagage indispensable à leur réussite scolaire. Il faut développer des pistes de complémentarité. Et mettre le focus sur les garçons, les études menées par le Centre National du Livre montrant une baisse de la lecture des garçons à partir de la sixième.

Propos recueillis le 8 décembre 2021 par Patricia de Figueiredo

 

 

 

 

 


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