Qu’incarnera le papier dans 10 ans ?
Ce qu’il ne cesse d’incarner, d’inboiser, d’inpapeter. Le temps. Le temps long.
À présent nous savons que nous ne cesserons plus jamais de jeter des coups d’œil vifs à l’écran de notre téléphone pour y trouver n’importe quelle information soudain nécessaire – toc ! l’année de la mort de François 1er, la conjugaison du verbe gésir, le nom de cet écrivain russe qui…
Toutes les informations, instantanément, précisément, inutiles à mémoriser puisque consultables à volonté… Soit.
Mais le papier, le papier servira toujours à faire des livres, de vrais livres,
ceux qui demeurent dans la bibliothèque, ceux qu’on aura envie (on l’imagine) de relire un jour ou l’autre,
ceux qu’on feuillette pour y retrouver une idée, une citation, un parfum.
Les (vrais) livres seront encore là quand on aura changé cent fois de manière de recueillir les informations, de les coder, de les transmettre (vous n’avez pas connu cela, vous, les textes perdus parce que plus aucun ordinateur ne lisait les vieilles disquettes ?).
Le livre de papier est consubstantiel au temps parce qu’il est objet supérieurement civilisé
la civilisation, non ce qui se corrompt vite et se périme mais ce qui demeure pour former la mémoire du monde tel qu’elle se dépose en nous et nous forge.
Si jamais nous persistons à créer des objets manufacturés éphémères, comme le sont les outils de haute technologie, resteront les livres de papier comme ces amers qui, sur la côte, guident les marins secoués par la tempête. Points fixes, repères, signaux raffinés, concrétions d’humanité. Vigies du temps long.
Belinda Cannone compte parmi les 40 personnalités qui ont répondu à la question « Qu’incarnera le papier dans 10 ans ».
Pour lire ou télécharger le magazine n°40 Spécial 2020-2030