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L’humour est le plus efficace des modes de communication, pour Olivier Raynaud, dessinateur de presse.

16.11.2020
Il a publié son premier dessin à 7 ans dans Pilote. Olivier Raynaud a de qui tenir: son oncle n’était autre que Jacques Faizant (2018-2006), célèbre dessinateur du Figaro. Ce "dessinateur éditorialiste" comme il aime se présenter, a travaillé pour de nombreux supports de presse, également pour la publicité et la communication. Il a aussi été Expert Judiciaire près la Cour d’Appel comme “spécialiste du dessin de presse et d'humour". Nous avons voulu savoir s’il pensait que nous pouvions encore rire de tout et sur quel support ?

Le livre, l’imprimé sont-ils des biens essentiels à vos yeux ? 

De votre question, je retiens les deux mots « biens » et « essentiels ».

Olivier Raynaud à sa table de travail © Olivier Raynaud

Biens : Selon les individus, le livre est considéré comme un héritage, une aventure, une fête, une confidence, un hommage, une surprise, une évasion… Au gré des époques et des circonstances, ce papier s’apparente non seulement à une richesse, mais aussi à un capital vivant parce qu’il exerce un pouvoir fort, celui de faire savoir. C’est pourquoi, cet objet d’apparence ordinaire inquiète trop souvent les dictatures qui procèdent allègrement à des autodafés, convaincues qu’il s’agit là de la solution la plus efficace pour éloigner ce mal « dangereusement déviationniste » (En français dans le texte). Pourtant, cette pathétique bêtise ne suffit pas. Qu’elles que soient les formes d’agressions dont il fait l’objet, le papier résiste. Il est encore là.

Essentiels : Dans le cas présent, je traduirais « essentiel » par « qui interpelle les sens », ce qui, j’en conviens, est une interprétation toute personnelle mais qui correspond bien à ce à quoi notre corps fait écho, de façon immédiate et intime.

Lorsque je me rends propriétaire d’un livre, j’ai pour habitude de le sentir pour découvrir le parfum du papier et de l’encre et, si l’ouvrage est ancien, ses odeurs vont parfois me permettre d’imaginer les territoires et les époques qu’il semble avoir traversés. Au toucher, le papier révèle son caractère. Il dévoile peu à peu sa véritable personnalité, sa raideur, sa souplesse, sa résistance, sa fragilité, et surtout sa faculté à sublimer les créations. Grâce à cela, s’engage une sorte de jeu de l’amour et du hasard au cours duquel, selon la finesse de son grain et sa porosité, le papier chuchote à l’oreille de l’artiste. Il tente de l’influencer et de partager avec lui la virtuosité de son geste dans le but d’atteindre la quintessence de leur complicité.

Le papier est multiple et, comparable aux membres d’une immense famille, il établit un dialogue différent avec chacun de ses interlocuteurs grâce à la façon dont il accroche la lumière et restitue les contrastes.

Comment le dessin de presse a-t-il évolué ces dernières années ?

En préalable, il convient de revenir sur ce qu’est un dessin de presse ; en effet, il s’agit d’un terme générique qui ne se limite pas au dessin d’actualité, il regroupe tous les types de graphismes utilisés dans la presse : le dessin humoristique, la bande dessinée, les strips, le dessin de faits-divers, les portraits, les caricatures, les cabochons et les cul-de-lampe…

Ces dernières années, l’aspect visuel a relativement peu changé, il s’est débarrassé de quelques détails superflus et les légendes sont devenues plus courtes. L’utilisation de l’outil numérique ne l’a pas fondamentalement amélioré et, par certains aspects, il l’a même appauvri.

En France, le dessin humoristique a progressivement cédé la place au dessin d’actualité, d’une part, parce que les auteurs représentant toute une génération ont peu à peu disparu – en même temps que leurs lecteurs – et, d’autre part, parce que les rédactions ont oublié que la presse devait aussi distraire et faire rire, pour le plaisir de tous.

Ce qui a changé, c’est la manière dont le dessin d’actualité est aujourd’hui appréhendé.

Venise © Olivier Raynaud

Avant tout, il est devenu plus familier au lecteur qui apprend, au fil du temps, à identifier l’auteur. Et, si le lecteur attache plus d’importance au dessin, à l’idée qu’il véhicule et à son auteur, ce dernier est mis en cause beaucoup plus souvent. Depuis une dizaine d’année, le dessin d’actualité qui, jusqu’ici était considéré comme un éditorial mis en image, est parfois perçu comme une opinion potentiellement condamnable. Il suffit de repenser à l’un de nos confrères dessinateurs qui a été menacé de mort en ligne (anonymement, cela va de soi !), ici, en France, en 2019, au pays des droits de l’homme et de… l’humour.

Quant au New York Times, l’emblématique quotidien américain, il a décidé de ne plus publier de dessin d’actualité dans son édition internationale, à compter du 1er juillet 2019 sous prétexte qu’une partie de son lectorat n’a pas apprécié un dessin de l’un de ses collaborateurs réguliers.

Sujet de dissertation : Que doit-on penser de cette décision ? Erreur fatale ! J’ai oublié que d’autres décident pour nous des sujets qui peuvent être traités au lycée, en France.

Espèce d’anthropologue à temps partiel, je suis parvenu au constat suivant :
Le manque d’humour est fatal à l’espèce.
C’est probablement pour cette raison que les dinosaures ont disparu.

Quel avenir pour le dessin de presse ?

On ne peut pas s’arrêter à ce que les directeurs de publications nous réservent ; il faut les aider, les conseiller et faire preuve d’imagination ; cela fait partie de mon métier. Qu’il s’agisse de quotidiens ou de magazines, les dessins doivent être de grande qualité, plus nombreux et exploités à bon escient, et cela, au bénéfice de tous les acteurs : les journaux, les lecteurs et, naturellement, les dessinateurs.

Aujourd’hui, un directeur de casting s’impose, c’est lui qui doit être à l’écoute des directeurs artistiques et leur faire découvrir ceux qui correspondent le mieux à leurs besoins, en respectant l’identité visuelle de leur publication et leur concept rédactionnel. A vrai dire, ce poste tel que je le conçois n’existe pas encore mais il est cependant indispensable ; il demande une culture approfondie de la sphère à laquelle appartiennent les dessinateurs qui savent apporter leur regard intelligent et décalé sur l’actualité. Cela nécessite une connaissance de chacun d’eux, de leur style graphique, de leur délai de réactivité et de leur capacité de travail.

Mon ambition est, d’une part, d’imaginer les meilleures associations selon les articles et leur ton et, d’autre part, de faire découvrir de nouveaux talents. Je précise que mon père, Claude Raynaud et mon oncle Jacques Faisant, étaient tous deux dessinateurs de presse, ce qui m’a sensibilisé très tôt à cette discipline insolite puis m’a apporté un certain recul sur la production de mes confrères français et étrangers.

Face à l’omniprésence des écrans, quelles solutions l’imprimé peut-il apporter ? 

Portrait de Klaus KINSKI, exposé au festival de Cannes lorsque le Press-Club en était partenaire

 L’écran est commun, ordinaire, impersonnel, voire vulgaire. Il est désespérément lisse. De plus, l’ordinateur devient obsolète à un rythme qui menace dangereusement le porte-monnaie et la santé mentale. La dictature du tout numérique tente d’imposer le quantitatif face au qualitatif.

Le papier, lui, a du caractère et fait bonne impression (sans aucun jeu de mots), surtout, il offre des sensations incomparables. En fait, il est réservé à ceux qui souhaitent associer noblesse et pérennité, élégance et improvisation. Les artistes le savent bien, ce monde analogique est totalement ouvert et accueille les bénéfices dus au hasard et, de ce fait, il favorise la faculté d’adaptation, tout horizon confondu.

Cependant, afin d’optimiser les résultats, il est parfois nécessaire de conjuguer l’imprévu et la rigueur, le grain du papier et la stérilité des octets.

Je suis convaincu que le papier est une valeur sûre. Son histoire le prouve.

Alors que nous assistons au retour du disque vinyle parce qu’il est irremplaçable, le papier annonce déjà sa reconquête parce qu’il est toujours LA référence en termes de culture durable.

http://www.olivier-raynaud.com/ 

 

 

 

 

 

 

 

 


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