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Donnons aux jeunes un « passe-au-livre » annuel, propose la romancière Sophie Loubière

08.06.2020
Romancière et journaliste, Sophie Loubière vint de recevoir pour son dernier roman « Cinq cartes brûlées » le Prix Landerneau 2020. Si ces romans explorent les univers noirs, cette auteure n’hésite pas à lever le voile sur leur fabrique. Son blog multiplie les pistes de lectures grâce à une documentation fournie associant témoignages et réflexions, très stimulant pour prolonger la lecture.

Sophie Loubière © DR

Comment le papier a-t-il compté dans votre confinement ?

Plus que jamais, il était de tous mes instants : en plus des lettres écrites à ma mère (laquelle n’a ni téléphone ni internet et habite dans l’Est de la France) j’ai vécu au rythme des attestations de sorties, cours et devoirs à imprimer pour mon fils. Plus que le papier, l’encre – l’un ne va pas sans l’autre – est vite devenue denrée rare. Impossible d’en trouver dans les magasins.

Avez-vous lu, pu écrire ? 

J’ai lu trois livres comme on se raccroche à une bouée. Un recueil de nouvelles La vengeance de la pelouse de Richard Brautigan, La porte étroite d’André Gide, et avec mon fils, nous avons lu Poil de Carotte de Jules Renard dans le cadre de ses études ; mon fils est dyslexique et je l’accompagne pour la lecture. C’est un moment de partage quotidien depuis qu’il est tout petit, un rituel.

Mais j’ai peu écrit. Il m’était impossible de me concentrer, de faire le vide dans mon esprit, de penser à autre chose que la situation que nous vivions, angoissante, incertaine pour tous et pour ma famille, nous plongeant dans une obscurité presque palpable. Le confinement a été un coup au ventre, un frein à nos activités professionnelles, à toute vie sociale et à nos libertés. Les seuls écrits que j’ai produits l’ont été pour soutenir des causes (contribution pour un recueil dont les ventes étaient au bénéfice du personnel hospitalier) et encourager la lecture durant le confinement.

Les auteurs ont été durement frappés par la fermeture des librairies, pensez-vous que les mesures prises à leur égard et pour la lecture sont-elles suffisantes ?

La situation des auteurs était déjà alarmante avant la pandémie. Notre profession est pourtant à la base de la plupart des processus de création : sans auteur, que serait le théâtre, le cinéma, la production audiovisuelle à la télévision, les fictions radio et podcast, la danse, le cirque ? A l’origine est toujours l’écriture. Jamais nous n’avons autant été adaptés et jamais nous n’avons payé si chèrement le privilège d’exercer notre métier. Les dispositifs mis en place par le gouvernement ne sont pas adaptés à notre statut. Il est même impossible de remplir certains formulaires, ce qui dénote une profonde méconnaissance de notre statut. Nous en sommes arrivés à une situation kafkaïenne :  l’argent débloqué ne peut tout simplement pas nous être versé.

Dans un appel convergent, éditeurs indépendants et libraires proposent quatre chantiers de travail pour repenser la chaîne du livre : taxe sur le pilon, offices réguliers pour le fonds, tarif postal unique et taux de remise minimal pour les libraires, qu’en pensez-vous ?

Ces idées vont dans le bon sens : le livre est hélas aujourd’hui une industrie. Nous en subissons les conséquences avec une surproduction et une surexposition d’ouvrages « prêts-à-lires », prémâchés et formatés pour des lectrices et lecteurs-consommateurs. Cette avalanche ne peut que nuire aux auteurs, réduire l’offre à une seule demande et appauvrir le marché.  Sans l’admirable travail de libraires passionnés par leur métier, de représentants grands-lecteurs et de maisons d’éditions courageuses sur le plan éditorial, nous ne serions plus cette « exception culturelle française » qui permet l’émergence de talentueuses plumes et fait que notre pays est celui qui compte le plus de librairies au monde.

Les lectrices et lecteurs sont aussi avides d’intelligence, de qualité littéraire, de genres nouveaux, de diversité, d’expériences. Aux éditeurs de leur en donner sans chercher à tout prix un filon. La poule aux œufs d’or  – cet(te) auteur(e) – n’est que de chair et de sang.

Pendant cette période de confinement nous avons sur-consommé du numérique, quel rôle le papier pourrait avoir dans la reprise ?

Celui qu’il a toujours eu : nous reposer d’une surexposition aux écrans, au robinet à paroles, à images, à fake news. Le papier permet de marquer l’instant et le temps, de poser les choses, de nous retrouver.

Dans cette disruption sociétale accélérée, quelle est votre proposition pour que le papier ait sa place dans le « capitalisme numérique » ?

De travailler à la source : l’éducation. Donnons des livres aux enfants :

  • Des livres doux à toucher, à mordre ;
  • Des livres pour les accompagner à chaque instant, dans le bain, dans le lit, comme un doudou.
  • Des livres à explorer, déplier, transporter, accrocher à la poussette, à glisser dans le sac à goûter.
  • Des livres à partager avec la voix de papa, de maman, du grand-frère, du grand-père.
  • Des livres d’hier toujours magiques, des livres de demain pas encore écrits mais déjà emplis de rêves.
  • Des livres de papier que l’on caresse du bout des doigts, qui nous tiennent debout, en éveil, et nous apprennent à écrire la vie. Il faudrait créer un accès libre à la lecture sous la forme d’un bon d’achat : un « passe-au-livre » annuel, de 0 à 18 ans, qui permette à l’enfant, quels que soient ses moyens, de se perdre un peu dans une librairie pour y dénicher des trésors de lecture.

Le numérique ne doit pas absorber tout son imaginaire et sa créativité.

Ecrit début juin 2020.

A suivre : le blog de Sophie Loubière

 

 


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